Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 30 avril 2006

Du style (fin).

On portait quelque respect aux places de guerre avant qu'une puissance à laquelle rien ne peut résister eût trouver moyen de les abîmer par une grêle affreuse de bombes et par le ravage de cent pièces de canons en batterie. Avant ces furieux orages, qui réduisent le gouverneur aux souterrains et la garnison en poudre, de fréquentes sorties vivement repoussées, de vigoureuses attaques vaillamment soutenues signalaient l'art des assiégiants et le courage des assiégés; et par conséquent, les sièges étaient d'une longueur raisonnable et les jeunes gens avaient le temps d'y apprendre quelque chose.
Hamilton - Mémoires du comte de Gramont (1713).

Ps : Le prochain billet sera consacré à la série Alias !

samedi 29 avril 2006

De l'ironie (3).

Mon cul est dans la nature et pourtant je porte des culottes.
Voltaire.

Cependant on fait tout ce qu'on peut ici pour réjouir la reine. Le roi s'y prend très bien pour cela. Il s'est vanté de lui avoir donné sept sacrements pour la première nuit mais je n'en crois rient du tout. Les rois trompent toujours leurs peuples.
Voltaire.

Au fond Voltaire : le dernier représentant de la littérature jésuite.
Les Goncourt.

Rien n'est plus étranger à notre époque que l'ironie voltairienne, cette distance entre soi et soi. On sait que pour Rousseau tout le mal vient de là : de la capacité de l'homme, dès qu'il entre en relation avec un autre, à disjoindre la contenance extérieure d'avec l'image des dispositions du coeur. Rien n'est plus étranger à Rousseau que le langage de la séduction.
Voltaire, en bon élève des Jésuites (1), sait que pour chaque genre de cause, il faut exciter des passions différentes, et si sa correspondance est son chef-d'oeuvre c'est que ce genre, très codifié au 18ème, est art de l'accomodation. A chaque correspondant son style de lettre.
Là où Rousseau voit un voile uniforme et perfide de politesse, une urbanité si vantée, Voltaire perçoit dans cette distance, dans cette capacité à simuler un espace de liberté et même une arme de combat. Pour citer René Pomeau : Il n'est pas de ceux qui, à force de sauver leur âme, finissent par la perdre. Il a le mérite, négatif mais réel, de n'être pas vertueux.
L'époque, la nôtre, vit dans une double obsession : la transparence et la vertu; la transparence comme vertu, la vertu comme transparence. D'un coté, l'éloge du pulsionnel, de la transparence des corps (la pornographie), de la spontanéité (le jeunisme), du geste. De l'autre, le moralisme des droits de l'homme et de l'antiracisme comme refus de l'opaque. Dans tous les cas le retour à l'Un, le refus de l'ironie.
L'ironie n'est pas le second degré, aucune trace de cynisme. Ici pas de posture du petit maître à qui on ne la fait pas, plutôt une leçon de style, de maintien. Introduire de la distance suppose un arrière-plan duquel on peut se détacher, un fond inamovible en profondeur. L'ironie n'est ni un relativisme, ni un nihilisme.
Muray définissait la dixneuviémeté comme cette division du temps où se développent les effets d'une illusion à imaginer l'univers comme remontant à une source qui serait l'homme lui-même. Il ne s'agit pas bien sûr de remonter le temps, Voltaire est justement passé par là, mais essayer de tenter de maintenir un intervalle entre l'homme et lui-même.

(1) On se reportera à Un philosophe et ses théologiens Voltaire et la Compagnie de Jésus in M. Fumaroli, Exercices de lecture. De Rabelais à Paul Valéry - Gallimard, 2006

A suivre...

vendredi 28 avril 2006

De l'esprit jésuite (2).

Monsieur,
J'aime la vérité, j'accepte le témoignage que vous me rendez sur cet amour dominant de la vérité; vous me connaissez à fond, et vous ne serez pas contredit par ceux qui me pratiquent. Cet amour est satisfait, j'ai trouvé la connaissance de toutes les vérités importantes dans une parfaite soumission à l'église romaine, qui en est certainement la seule dépositaire. Dans la recherche des vérités moins importantes, pour les découvrir plus sûrement, je m'écarte rarement des routes battues, et je crains les guides aventureux; je m'en tiens au sentiment commun, sur ce qui est à la portée de la raison; et si dans ce qui est plus élevé, d'un usage moins ordinaire, et où la méditation seule peut atteindre, je ne suis pas la multitude ignorante et grossière, je ne m'éloigne pas du grand nombre des bons esprits qui se sont exercés sur ces matières difficiles. Le nom de novateur me paraît une injure, leur sort m'effraie, comètes terrestres ils brillent, ils attirent les regards, on parle d'eux, et ils disparaissent; la lumière du soleil passe d'âge en âge. Je m'applique donc volontiers à donner un nouveau tour aux vérités reçues, à en chercher de nouvelles preuves, à les mettre dans un jour plus évidents. Loin de glorifier d'une doctrine singulière, je suis charmé de penser comme les autres hommes, et je ne crois mes pensées raisonnables qu'autant qu'elles s'accordent avec la manière de penser du plus grand nombre de ceux qui possèdent et cultivent la raison. J'ai beaucoup lu, et j'ai peu appris dans les auteurs qui ont suivi une autre méthode.(...)
Lettre de René Joseph Tournemine à Voltaire (septembre 1735)

René Joseph de Tournemine (1661-1739) : Père Jésuite, il entra en relation avec Voltaire alors que celui était au collège Louis-le-Grand.

A suivre...

mercredi 26 avril 2006

Cinq lettres de Voltaire à la marquise de Mimeure (1).

Vous êtes déprimé, vous avez envie d'y voir clair. Vous trouvez l'époque confuse, grégaire, corrompue, bassement commerciale, lâche, fade, criminelle, nulle, absurde. Vous allez à la bibliothèque, vous choisissez des livres de la "Pléiade". Vous emportez avec vous treize Tomes de la Correspondance de Voltaire (...).
Philippe Sollers - (1) La Guerre du Goût.

Ce que je fis. Du moins, je me contentai des deux premiers tomes et du premier volume de la biographie de Voltaire (elle en compte cinq) publiée sous la direction de René Pomeau à la Voltaire Foundation (Oxford). Absolument passionnant.

Je ne savais rien, et ne sais toujours rien de Charlotte-Madeleine de Carvoisin, Marquise de Mimeure. La note de la Pléiade indique qu'il faut prononcer Mimure, qu'elle fut charmante et spirituelle et qu'elle tenait, avec son mari, un salon littéraire, rue des Saints-Pères. C'est peu.

En 1715, Voltaire à 21 ans. Il a été introduit dans le salon de la marquise. Le 25 juin, il lui écrit.

J'ai vu, Madame, votre petite chienne, votre petit chat et Mlle Aubert. Tout cela se porte bien, à la réserve de Mlle Aubert qui a été malade, et qui, si elle n'y prend garde, n'aura point de gorge pour Fontainebleau. A mon gré, c'est la seule chose qui lui manquera, et je voudrais de tout mon coeur que sa gorge fût aussi belle et aussi pleine que sa voix. Puisque j'ai commencé par vous parler de comédiennes, je vous dirais que la Duclos ne joue presque point, et qu'elle prend tous les matins quelques prises de senné et de casse, et le soir plusieurs prises du Comte d'Uzès (c'était bien la peine de faire des vers pour elle!). N**** adore toujours la dégoutante Lavoie, et le maigre N**** a besoin de recourir aux femmes, car les hommes l'ont abandonné. Au reste, on ne nous donne que de très mauvaises pièces, jouées par de trés mauvais acteur.(...)
J'ai pourtant une plus grande grâce à vous demander, c'est la permission d'aller rendre mes devoirs à M. de Mimeure, et à vous, dans l'un de vos châteaux, où peut-être vous ennuyez vous quelque fois. Je sais bien que je perdrais auprès de vous tout le fiel dont je me nourris à Paris; mais afin de ne me pas gâter tout à fait, je ne resterais que huit ou dix jours avec vous.(...)

Eté 1716. Voltaire est à Sullly-sur Loire où il est frappé d'exil. Du chateau de Sully, il écrit à la marquise :

Il serait délicieux pour moi de rester à Sully s'il m'était possible d'en sortir. M. le duc de Sully est le plus aimable des hommes et celui à qui j'ai le plus d'obligation. Son chateau est dans la plus belle situation du monde. Il y a un bois magnifique dont tous les arbres sont tous découpés par des polissons ou des amants qui se sont amusés à écrire leurs noms sur l'écorce. (...)
Il est bien juste qu'on m'ait donné un exil si agréable puisque j'étais absolument innocent des indignes chansons qu'on m'imputait. Vous seriez peut-être bien étonné si je vous disais que dans ce beau bois dont je viens de vous parler, nous avons des nuits blanches comme à Sceaux.(...)
Ne me dédaignez pas, Madame, comme l'an passé. Souvenez-vous que vous écrivites à Roy, et que vous ne m'écrivites point. Vous devriez bien réparer votre mépris par une lettre bien longue. (...) Sinon je crois que malgré les ordres du Régent, j'irai vous trouver à Paris, tant je suis avec un véritable dévouement, etc.

Juin 1719. Après avoir été embastillé de mai 1717 à novembre 1718, Voltaire mène une vie mondaine. Il s'éprend de Mme la maréchale de Villars qui l'aguiche mais finit par se refuser à lui.
A la marquise de Mimeure.

On ne peut vaincre sa destinée, je comptais, Madame ne quitter la solitude délicieuse où je suis que pour aller à Sully; mais M. le duc et Mme la duchesse de Sully vont à Villars, et me voilà, malgré moi, dans la nécessité de les y aller trouver. On a su me déterrer dans mon ermitage pour me prier d'aller à Villars, mais on ne m'y fera point perdre mon repos. Je porte à présent un manteau de philosophe dont je me déferai pour rien au monde. (...)
Je vous prie de m'envoyer le petit emplâtre que vous m'avez promis pour le bouton qui m'est venu sur l'oeil. Surtout ne croyez point que ce soit coquetterie, et que je veuille paraître à Villars avec un désagrément de moins. Mes yeux commencent à ne me plus intéresser qu'autant que je m'en sers pour lire et pour vous écrire. Je ne crains plus même les yeux de personne; et le poème de Henri IV et mon amitié pour vous, sont les deux seuls sentiments vifs que je me connaisse.

Juillet 1719

Je vais demain à Villars. Je regrette infiniment la campagne que je quitte, et ne crains guère celle où je vais. Vous vous moquez de ma présomption, Madame,et vous me croyez d'autant plus fort que je ne me crois raisonnable. Nous verrons qui aura raison de nous deux. Je vous réponds par avance, que si je remporte la victoire, je n'en serai pas fort enorgueilli. Je vous remercie beaucoup de ce que vous m'avez envoyé pour mon oeil. C'est actuellement le seul remède dont j'aie besoin; car soyez sûre que je suis guérie pour jamais du mal que vous craignez pour moi. Vous me faites sentir que l'amitié est d'un prix plus estimable mille fois que l'amour. Il me semble même que je ne suis point du tout fait pour les passions.Je trouve qu'il y a en moi du ridicule à aimer, et j'en trouve encore davantage dans celles qui m'aimeraient. Voilà qui est fait, j'y renonce pour la vie. Je suis sensiblement affligé de voir que votre colique ne vous quitte point. J'aurais du commencer ma lettre par là; mais ma guérison dont je me flatte, m'avait fait oublier vos maux pour un petit moment.(...)

Aout 1719.

Auriez-vous Madame assez de bonté pour moi pour être un peu fachée de ce que je suis si longtemps sans vous écrire? Je suis éloigné depuis six semaines de la désolée ville de Paris, je viens de quitter Le Bruel où j'ai passé quinze jours avec M. le duc de la Feuillade.(...) Je suis actuellement à Villars, je passe ma vie de château en château, et si vous aviez pris une maison à Passy je lui donnerais la préférence sur tous les châteaux du monde.(...) Je songe toujours à vous lorsqu'on me parle des affaires présentes(2) et dans la ruine totale que quelques gens craignent comptez que c'est votre intérêt qui m'alarme le plus; vous méritiez assurément une autre fortune que celle que vous avez. Mais encore faut-il que vous en jouissiez tranquillement et qu'on ne vous l'écorne pas, quelque chose qui arrive on ne vous ôtera pas les agréments de l'esprit, mais si on y va toujours du même train on pourra bien ne vous laisser que cela et franchement ce n'est pas assez pour vivre commodément et pour avoir une maison de campagne où je puisse avoir l'honneur de passer quelques temps avec vous.(...)
Adieu Madame la Marquise. Ecrivez moi un petit mot et comptez que je suis toujours pénétré de respect et d'amitié pour vous.

C'est la dernière lettre adressée à la Marquise de Mimeure que l'on connait, mais elle fera encore deux apparitions dans la correspondance.



Octobre 1724. Voltaire connait une période de gloire.
Il écrit à sa maitresse la marquise de Bernières.

Je voudrais (...) être votre gazetier dans ce pays-ci afin de ne pas vous être pas tout à fait inutile, mais malheureusement j'ai renoncé au monde comme vous avez renoncé à moi. Tout ce que je sais c'est que Dufresny est mort et que Mme de Mimeure s'est fait couper le sein.(...) La Mimeure a soutenu l'opération avec un courage d'Amazone. Je n'ai pu m'empêcher de l'aller voir dans cette cruelle occasion. Je crois qu'elle en reviendra car elle n'est en rien changée. Son humeur est toute la même.(..)

Quelques jours plus tard.
A la même.

Il faut que vous aimiez bien à faire des reproches pour me gronder d'avoir été rendre une visite à une pauvre mourante qui m'en avait fait prier par ses parents. Vous êtes une mauvaise chrétienne de ne pas vouloir que les gens se raccomodent à l'agonie.(...) Cette démarche très chrétienne ne m'engagera point à revivre avec la Mimeure. Ce n'est qu'un petit devoir dont je me suis acquité en passant (...).

La Mimeure meurt en cette fin année 1724. En janvier 1726, Voltaire s'exilera à Londres.
Cinq lettres, une vie et un portrait dessinés en creux. Je ne savais rien de la marquise de Mimeure et n'en sait guère plus (sa petite chienne, son petit chat, une colique, un emplâtre envoyé à Voltaire, le cancer du sein, le temps qui passe..., pas même un portrait) et pourtant l'espace d'un après midi je crois bien l'avoir aimé Charlotte-Madeleine de Carvoisin, Marquise de Mimeure.

(1) Sollers est un peu comme un tireur fou. A dire n'importe quoi, il est forcé, de temps à autre, en toute probabilité, d'atteindre sa cible (a).
Dans la Revue des Deux mondes (Avril 2006) il définit le XVIIIème comme l'extraordinaire rapport de force entre Pascal et Sade; non pas Pascal contre Sade, mais bel et bien Pascal et Sade. L'un et l'autre. Pan ! En plein dans le mille !
Signalons dans le même numéro un intéressant entretien avec Marc Fumaroli : Ce fut toujours depuis Montaigne et son "arrière-boutique",une vertu française que de savoir garder son quant-à-soi et y rechercher un peu de bonheur, tout en ne perdant jamais de vue la chose publique. Cet équilibre du "caractère" français s'est rompu... Fumaroli est quant à lui un tireur qui vise toujours juste.
(2) Allusion au Système de Law.

(a) C'est aussi le cas de quelqu'un comme Louis Skorecki.

lundi 24 avril 2006

Souvenir

Comme beaucoup à cette époque, Christophe avait eu sa crise de Chevènementisme.
Christian Authier - Les liens défaits.

samedi 22 avril 2006

Tropical malady



Il s'est passé la corde au cou
Il s'est imbibé d'essence
Il s'est jeté dans le vide pendu à un arbre
Le Josephin avait quitté le domicile conjugal dimanche matin
Une vingtaine d'hommes investissent Coeur-Bouliki
Ils s'éparpillent dans la forêt
Deux femmes poussent des hurlements
Une vision d'horreur
Il se balance au bout d'une corde
L'homme est encore victime de spasmes
En clair
Il est encore en vie
Le beau-frère le plaque contre le tronc
Un gendarme s'accroche à l'autre jambe
Un de ses collègues dégaine un couteau
Quelques spasmes encore
Il se débat et tente de mordre ses sauveurs
Sauvé contre son gré
Il doit désormais reprendre le goût de vivre

lundi 17 avril 2006

God bless the child.

Eric Dolphy (30 aout 1961 - Berlin)

vendredi 14 avril 2006

Du vide et du plein.


Vu sur sur le blog de Versac ce clip de l'UMP (c'est le premier).
Un désastre, pas même un champ de ruines. Ces dernières possèdent leur mythologie. Diderot disait des ruines qu'elles apprenaient à l'homme à se résigner à sa fin. Pour Chateaubriand, l'attrait que nous éprouvons pour elles tient à la fragilité de notre nature, à une conformité secrète entre ces monuments détruits et la rapidité de notre expérience. La ruine est une trace, un souvenir.



Dans ce clip, plus aucune trace : juste le vide. Les images ne renvoient qu'à d'autres images publicitaires, la boucle est bouclée, le réel a finit par disparaître. De quel pays s'agit-il ? Qui sont ces gens ? Qu'est ce qu'un après qui ne se conçoit plus par rapport à un avant ? Qu'est ce qu'un monde non ancré ? Qu'est ce qu'une politique sans polis ? Nul ne peut le dire.
Bienvenue au pays des Télétubbies (1).

Comment construire une image ? Un petit détour par la littérature peut nous y aider.
Je découvre Colette, et lis dans La Vagabonde:

Ecrire ! pouvoir écrire! cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le grifonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tache d'encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l'orne d'antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé en papillon-fée...

On comprend alors que pour décrire la rue dans laquelle vit son héroine, Colette écrive :

Sous le gaz verdâtre, ma rue, à cette heure, est un gachis crémeux, praliné, marron moka et jaune caramel, un dessert éboulé, fondu, où surnage le nougat des moellons.

Au vide, on préfèrera donc le plein - fut-il le trop plein - et face à l'éternel présent, qu'il nous soit permis de choisir le temps de la rêverie, du souvenir et de la présence. Le temps de l'incarnation.

(1) Je ne parle même pas de l'absence d'un montage digne de ce nom (faut-il qu'il y est des images à confronter), ni de l'indigence du texte dont il faudrait d'ailleurs rapprocher la pauvreté stylistique avec celle des poèmes (!) de ce jeune homme dont on nous dit du bien un peu partout.

lundi 10 avril 2006

Infortune.

Dans sa préface aux Mémoires du Cardinal de Bernis (1) - au demeurant excellente - Jean Marie Rouart cite Paul Valery préfacier des Lettres Persanes.

L'individu recherche une époque tout agréable où il soit le plus libre et le plus aidé. Il l'a trouvée vers le commencement de la fin d'un système social. Alors, entre l'ordre et le désordre, règne un moment délicieux. Tout le bien possible que procure l'arrangement des pouvoirs et des devoirs étant acquis, c'est maintenant que l'on peut jouir des premiers relâchements du système. Les institutions tiennent encore. Elles sont grandes et imposantes. Mais sans que rien de visible ne soit altéré en elles, elles n'ont plus guère que cette belle présence ; leurs vertus se sont toutes produites ; leur avenir est secrètement épuisé.

J'avais vingt ans, l'époque fut délicieuse. But Times goes by, l'histoire et la chimie ont leurs lois : du secrètement nous sommes passés au manifestement et des vertus exténuées il ne reste plus que cet amer goût de cendre.

Une fois n'est pas coutume, je signale ce bel article paru dans le journal Libération (une jeune femme qui se prénomme Haydée ne peut pas être complètement mauvaise).

(1) Le temps retrouvé - Mercure de France.

samedi 8 avril 2006

Histoire de l'infamie.


REUTERS/National Geographic Society/Kenneth Garrett

Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Baudelaire - L'héautontimorouménos

Alors que chacun s'ébroue autour du cadavre d'un texte de loi mort-né, la presse nous informe de la découverte spectaculaire d'un texte ancien, non biblique, considéré par certains experts comme l'un des plus importants mis au jour depuis les soixante dernières années. Rien de moins qu'un évangile daté du IIIème ou du IVème siècle attribué à Judas. Un dossier complet peut être consulté ici
Ce que le texte semble indiquer c'est que si Judas a trahit le Christ, c'est à la demande de celui-ci et ce afin d'assurer la rédemption de l'humanité : Tu les surpasseras tous. Tu sacrifieras l'homme qui m'a revêtu.(1)

Comment ne pas penser à la nouvelle de Borges - Trois versions de Judas (1944) (2) - dont l'une des sources est le Judas Iscariote (1853) de Thomas De Quincey : De Quincey imagina que Judas avait livré Jésus-Christ pour le forcer à déclarer sa divinité et à allumer une vaste rébellion contre le joug de Rome.
A la suite de l'anglais, Nils Runeberg, le théologien imaginé par Borges, reprend le personnage de Judas.
Dans un premier temps, Runeberg fait de Judas un homme qui, devinant que la divinité s'était incarné et avait souffert la passion pour racheter l'humanité a choisi au nom de tous les hommes de faire un sacrifice d'ampleur comparable.
Le Verbe s'était abaissé à être mortel ; Judas disciple du Verbe, pouvait s'abaisser à être délateur (la délation étant le comble de l'infamie) et à être l'hote du feux qui ne s'éteint pas. L'ordre inférieur est un miroir de l'ordre supérieur (...) ; Judas reflète Jésus en quelque sorte.
Les théologiens de toute confession réfutant Runeberg, celui ci modifie sa doctrine. Le désir de faire un sacrifice laisse la place à l'ascétisme.
L'ascète avilit et mortifie sa chair pour la plus grande gloire de Dieu ; Judas fit de même avec son esprit. Il renonça à l'honneur, au bien, à la paix, au royaume des cieux, comme d'autres, moins héroïquement, à la volupté. Il prémédita ses fautes avec une terrible lucidité.
Runeberg ne publie pas cette seconde version, il la révise et donne à l'impression une troisième et dernière version.
L'argument général n'est pas complexe, mais la conclusion est monstrueuse. Dieu (...) s'abaissa à être homme pour la rédemption du genre humain ; il est permis de conjoncturer que son sacrifice fut parfait, qu'il ne fut ni invalidé ni atténué par des omissions. Il est blasphématoire de limiter sa souffrance à l'agonie d'un soir sur la croix. (...) Dieu s'est fait totalement homme jusqu'à l'infamie, homme jusqu'à la réprobation et l'abîme (...) ; il aurait pu être Alexandre ou Pythagore ou Rurik ou Jésus ; il choisit un intime destin : il fut Judas. Ivre de sa découverte Runeberg erre alors dans les rues de Malmö suppliant que lui soit accordée la grâce de partager l'Enfer avec le Rédempteur. Il meurt de rupture d'anévrisme, le premier mars 1912.

On retrouve ce thème de l'indignité, de la nécessaire indignité, comme forme radicale du sacrifice dans plusieurs autres textes de Borges et notamment dans la nouvelle intitulée La Secte des Trente (1975) (3).
Dans la tragédie de la Croix - j'en parle avec toute la révérence qui s'impose - il y eut des acteurs volontaires et d'autres involontaires, tous indispensables, tous fatals. Acteurs involontaires furent les prêtres qui remirent les deniers d'argent, la foule qui choisit Barrabas, le procurateur de Judée, les soldats romains qui dressèrent la Croix de son martyre, qui plantèrent les clous et qui tirèrent au sort sa tunique. De volontaires, il n'y en eut que deux : le Rédempteur et Judas. (...) La Secte les vénère tous deux à égalité et elle absout tous les autres.

Au-delà des éventuelles influences gnostiques ce qui frappe chez Borges c'est sa terrible lucidité. Le mal existe, rien ne sert de lui opposer à la façon d'un Leibniz une certaine forme d'optimisme, de rechercher comme Rousseau un éventuel coupable, ni même comme Nietzche tenter de le dépasser, l'homme est à la fois victime et bourreau. Ou pour reprendre les mots d'un Schopenhauer :
Celui qui sait voit que la distinction entre l'individu qui fait le mal et celui qui le souffre est une simple apparence.(...) Le bourreau et le patient ne font qu'un. Celui-là se trompe en croyant qu'il n'a pas sa part de la torture ; et celui-ci en croyant qu'il n'a pas sa part de la cruauté.
Le mal est irréductiblement attaché à la vie même.





(1) Autre "revélation" du texte : le rire de Jésus.
(2) Fictions.
(3) Le livre de sable.

mercredi 5 avril 2006

Notes pour un projet de gouvernement de la France.


Ebauches. Quelques lectures préalables.

La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges, ou anti-naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs.
Baudelaire - Fusées.

Partir du constat fait par Tocqueville que la démocratie alliée au progrès technique aura eu pour conséquence ce que Georges Bataille appelait l'atomisation démocratique ou pour pour reprendre l'expression de Chateaubriand une société purement physique où domine un individu tout puissant et, dans le même temps, le conformisme de masse.

Nécessité de créer du lien et de réintroduire du sacré.

Cependant il faut une religion, ou la société périt
Chateaubriand - Essai sur les révolutions.

Piste à suivre : le souverain, le sacrifice, le bourreau. (cf Balzac, Joseph de Maistre, Bataille, Caillois, Baudelaire, Le Collège de sociologie)

1) Le souverain

La loi emporte un assujetissement à des règles, toute régle est en opposition aux moeurs naturelles, aux intérêts des individus; la masse portera-t-elle des lois contre elle-même ? (...) De tout ceci résulte la nécessité d'une grande restriction dans les droits électoraux (...).
Balzac - Le Médecin de campagne.

Il n'y a de gouvernement raisonnable et assuré que l'aristocratique.
Monarchie ou république basées sur la démocratie sont également absurdes et faibles.
Baudelaire - Mon coeur mise à nu.

2) Le sacrifice comme instauration du sacré.

Le sacrifice restitue au monde sacré, ce que l'usage servile a dégradé, rendu profane.
Bataille - La Part maudite.

Il s'agit d'arracher le sacrifié à l'ordre réel, à la pauvreté des choses, de le rendre à l'ordre divin.

La mise à mort est la transgression de l'interdit du meurtre. En son essence la transgression est un acte sacré.
Bataille - La Souveraineté.

La peine de mort n'a pour but de sauver la société, matériellement du moins. Elle a pour but de sauver (spirituellement) la société et le coupable. Pour que le sacrifice soit parfait, il faut qu'il y ait assentiment et joie de la part de la victime.
Baudelaire - Mon coeur mis à nu.

3) Le bourreau.

Il (le bourreau) est l'horreur et le lien de l'association humaine. ôtez du monde cet agent incompréhensible ;dans l'instant même l'ordre fait place au chaos ; les trônes s'abîment et la société disparaît. Dieu qui est l'auteur de la souveraineté, l'est donc aussi du châtiment : il a jeté notre terre sur ces deux pôles ; car Jéhovah est le maître des deux pôles, et sur eux il fait tourner le monde.
Joseph de Maistre - Les soirées de Saint-Petersbourg

Le souverain et le bourreau remplissent donc, l'un dans la lumière et la splendeur, l'autre dans l'obscurité et la honte, des fonctions cardinales et symétriques (...) représentant les deux poles de la société, ils s'attirent mutuellement et tendent à se réunir au-dessus du monde profane.(...). Quand le bourreau montre à la foule la tête du monarque, il atteste la perpétration d'un crime, mais dans un même temps, il communique à l'assemblée, en la baptisant du sang royal, la vertu sainte du souverain décapité. (...). Ainsi le bourreau et le souverain forment couple. Ils assurent de concert la cohésion de la société.
Caillois - Sociologie du bourreau.

Synthése - Lettre de Jean Paulhan à Etiemble du 8 mars 1939

...toutes mes préférences politiques iraient à un roi absolu que l'on choisirait le 1er janvier par tirage au sort pour le mettre solennellement à mort le 31 décembre. Je crains qu'elle (cette solution) ne soit difficile à faire passer. A défaut d'elle connaissez-vous ce mot de Chesterton : "Le despotisme héréditaire est dans son essence démocratique. S'il ne proclame pas que tous les hommes peuvent à la fois gouverner, il proclame ce qu'il y a de plus démocratique aussitôt après, c'est que n'importe qui peut gouverner.
En tout cas, tout plutôt qu'un dictateur élu (et élu inévitablement pour ses qualités, etc.)

Il ne s'agit là que d'une première ébauche, les points de détail et autres modalités pratiques sont à préciser (ainsi afin d'assurer une certaine cohérence dans l'exercice du pouvoir la période de un an devra - nous semble-t-il - être revue à la hausse).
Des contributions extérieures pourront être prises en considération (notamment quand au mode de désignation du bourreau ; la fonction pourrait être héréditaire et il ne pourra bien entendu en être tirée quelques avantages, tout au contraire) dans la mesure où elles ne dénaturent pas l'architecture du projet.

lundi 3 avril 2006

Intermède.

Relevé dans le Livre neuvième - Chapitre 3 des Mémoires d'outre-tombe.




Presque toujours en politique, le résultat est contraire à la prévision.

Rien de plus dangereux, de plus insuffisant, de plus inapplicable aux affaires générales, que les résolutions particulières à des individus ou a des corps, alors même qu'elles sont honorables.

Intermède car je m'attelle à un projet de gouvernement pour la France !

dimanche 2 avril 2006

De la bêtise / De la démagogie / Du n'importe quoi / De la conversation


Vu dans le journal cette déclaration de l'un des inculpés dans l'affaire Outreau-bis à propos de son épouse que certains trouvent "limitée", et qui me semble une bonne définition de la bêtise. «C'est parce qu'au lieu de réfléchir à ce qu'il faut dire, elle dit tout haut ce qu'il faut pas dire»

Toute ressemblance avec des personnes, notamment parmi les plus jeunes aperçus ici ou là à la tévé, des situations existantes ne saurait être que fortuite...

Add :pour la démagogie c'est ici
Add du 1er avril : pour le n'importe quoi c'est
Add du 2 avril : pour la conversation (et en guise de conclusion) c'est ici. D'aucuns diront qu'il s'agit d'une conversation entre deux vieux cons. Mais il se trouve que j'aime bien les vieux cons.