Monsieur,
J'aime la vérité, j'accepte le témoignage que vous me rendez sur cet amour dominant de la vérité; vous me connaissez à fond, et vous ne serez pas contredit par ceux qui me pratiquent. Cet amour est satisfait, j'ai trouvé la connaissance de toutes les vérités importantes dans une parfaite soumission à l'église romaine, qui en est certainement la seule dépositaire. Dans la recherche des vérités moins importantes, pour les découvrir plus sûrement, je m'écarte rarement des routes battues, et je crains les guides aventureux; je m'en tiens au sentiment commun, sur ce qui est à la portée de la raison; et si dans ce qui est plus élevé, d'un usage moins ordinaire, et où la méditation seule peut atteindre, je ne suis pas la multitude ignorante et grossière, je ne m'éloigne pas du grand nombre des bons esprits qui se sont exercés sur ces matières difficiles. Le nom de novateur me paraît une injure, leur sort m'effraie, comètes terrestres ils brillent, ils attirent les regards, on parle d'eux, et ils disparaissent; la lumière du soleil passe d'âge en âge. Je m'applique donc volontiers à donner un nouveau tour aux vérités reçues, à en chercher de nouvelles preuves, à les mettre dans un jour plus évidents. Loin de glorifier d'une doctrine singulière, je suis charmé de penser comme les autres hommes, et je ne crois mes pensées raisonnables qu'autant qu'elles s'accordent avec la manière de penser du plus grand nombre de ceux qui possèdent et cultivent la raison. J'ai beaucoup lu, et j'ai peu appris dans les auteurs qui ont suivi une autre méthode.(...)
Lettre de René Joseph Tournemine à Voltaire (septembre 1735)

René Joseph de Tournemine (1661-1739) : Père Jésuite, il entra en relation avec Voltaire alors que celui était au collège Louis-le-Grand.

A suivre...