Dans un entretien accordé au magazine Books (N° de mai 2011) Hans Belting déclare à propos des Époux Arnolfini de Van Eyck :

...grâce au miroir du fond, on peut voir les époux de dos, donc d'une certaine manière en embrasser toute la circonférence, comme on le pourrait avec une statue en trois dimensions (...) On a surtout affaire là à une magnifique mise en abyme puisqu'on aperçoit dans ce miroir l'artiste en train de peindre le couple. C'est d'ailleurs ce tableau qui a inspiré à André Gide son concept de «mise en abyme».

Essayons d'examiner cette question.
En 1893, année de publication de La Tentative amoureuse, Gide écrit dans son Journal :

J'ai voulu indiquer, dans cette Tentative amoureuse, l'influence du livre sur celui qui l'écrit, et pendant cette écriture même (...) Nulle action sur une chose, sans rétroaction de cette chose sur le sujet agissant. C'est cette réciprocité que j'ai voulu indiquer, non plus dans les rapports avec les autres, mais avec soi-même.
J'aime assez qu'en une œuvre d'art on retrouve ainsi transposé à l'échelle des personnages, le sujet même de cette œuvre. Rien ne l'éclaire mieux et n'établit plus surement toutes les proportions de l'ensemble. Ainsi, dans tels tableaux de Memling ou de Quentin Metzys, un petit miroir convexe et sombre reflète, à son tour, l'intérieur de la pièce ou se joue la scène peinte. Ainsi dans le tableau des Ménines de Velasquez (mais un peu différemment).

Gide donne ensuite quelques exemples tirés de la littérature et poursuit :

Aucun de ces exemples n'est absolument juste. Ce qui le serait beaucoup plus, ce qui dirait mieux ce que j'ai voulu dans mes Cahiers, dans mon Narcisse et dans La Tentative, c'est la comparaison avec ce procédé du blason qui consiste, dans le premier, à en mettre un second «en abyme»
Cette rétroaction du sujet sur lui même m'a toujours tenté. C'est le roman psychologique typique. Un homme en colère raconte une histoire; voila le sujet du livre. Un homme racontant une histoire ne suffit pas; il faut que ce soit un homme en colère, et qu'il y ait un constant rapport entre la colère de cet homme et l'histoire racontée.

On trouve ici la première occurrence de ce qui allait devenir un des poncifs de la modernité, la fameuse « mise en abyme».
Force est de constater que la définition que donne Gide est une définition purement technique se référant à l'héraldique. Définition technique mais définition fausse puisque selon L'indice Armorial de Pierre Palliot paru en 1660, l'abîme est le cœur de l'écu, comme l'on dit mis en Abîme, c'est-à-dire au milieu de l'écu. sans que ce qui se met en cet endroit touche ni charge aucune pièce quelle qu'elle soit.


Fleur de lys d'or en abîme.

Dans sa définition imaginaire, Gide associe les idées de profondeur et de réflexivité, sa pensée garde la trace de l'effet miroir mais n'en garde que la trace.
Ainsi, il convient de remarquer que le texte de Gide ne cite pas explicitement le tableau de Van Eyck, et que s'il peut être ajouté implicitement à la liste qu'il nous donne, lui comme les autres ne correspondent pas au projet gidien. Ce dernier peut-être compris comme la mise en place d'un espace qui refermerait sur lui-même alors que le miroir présuppose un extérieur au tableau, il est d'abord ouverture puis dans un deuxième temps intégration de cet extérieur à l'intérieur du tableau. L'espace que définit Gide est un espace clos qui ne connait pas de devant.
On peut se demander si l'approche qui s'accorderait le mieux avec celle de Gide ne serait pas celle de Panofsky dans son article fameux de 1934, article par ailleurs controversé et qu'il a consacré aux Époux Arnolfini.
Pour résumer, Panofsky voit dans le tableau un acte authentique dans le sens légal du terme. Van Eyck par sa signature, et sa présence comme témoin à l'intérieur du tableau authentifierait le mariage des époux. le tableau ne serait pas la simple représentation des époux mais il serait aussi performatif. Selon Panofsky, Van Eyck par l'intermédiaire de sa toile rendrait le mariage valide tout en rendant visible cette validité. En tant que témoin (le mot est à prendre dans ses diverses acceptions), il combinerait dans la même œuvre et dans le même temps l'acte de peindre avec ce qui est peint (l'authentification du contrat).
Comme on le voit les rapports de Gide et de la «mise en abyme» sont pour le moins complexes et on se contentera de conclure en faisant notre les paroles d'un amy : «Il est bien peint ce miroir.»