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Mon île au loin ma Désirade
Ma rose mon giroflier
Apollinaire

LA DÉSIRADE

Les douze jours de la grande traversée s'achèvent. Douze jours de plein ciel. Journées radieuses sur le pont ; somnolences dans le bleu, Un poisson volant pique son clair d'or au creux d'une vaque. Une douce hypnose fixe l'esprit. Le monde, autour de nous, est si lisse, si rond qu'on, voudrait le caresser avec la paume de la main.
Sur le paquebot, un petit univers se crée qui se déplace suivant la ligne éternelle de l'horizon. Le temps et l'espace sont abolis.
Le paquebot est un royaume d'illusions. La traversée est une magicienne. Les mirages surgissent. Leurs édifices illusoires s'éclairent d'une lumière d'éternité.
Pourquoi la traversée s'achève-t-elle ? Ne glisserait-on pas toute la vie, dans cet azur absolu ?
Et pourtant elle s'achève !
Une longue pellicule grise apparaît à l'horizon ; une mince buée verte, très pâle sur l'eau. Une terre !
La Désirade !
Les navigateurs de jadis t'ont baptisée d'un beau nom, île tant attendue. Mais nous aujourd'hui, nous rêvions d'un désir qui n'atteint pas sa fin, d'un navire qui jamais ne trouve d'escale, d'un voyage sans terme. O Désirade, que nous te désirions peu lorsque sur la mer s'inclinèrent tes pentes couvertes de mancenilliers !

Louis Chadourne, Le pot au noir, 1923