Prendre les écrivains aux mots. Les prendre au piège des mots.

Mélodrame : à l’origine, une oeuvre dramatique accompagnée de musique. Quelle musique pour le dernier Guégan ? Une valse triste collerait on ne peut mieux', une de ces valses entêtantes qui ne cesse de revenir sur elle-même. A moins que les mots suffisent car on devient écrivain qu’avec le concours des oreilles. Si vous savez écouter, vous saurez trouver les mots justes. Trouver alors le rythme qui s’accorderait à cette histoire, un rythme fait de suspension entre les différentes phrases musicales. Staccato. Abrège, va à l’essentiel, dit Hammett. Et puis le mélodrame, genre populaire, avec ses faux hasards et sa Némésis, n’est-il pas aussi à l’origine du roman noir.

Dernière. Comme la dernière rencontre entre Hammett et Hemingway. Des amis de trente ans. Il ira voir Hammett, et il feront la paix, quitte à ce qu’elle soit courte et qu’elle se termine dans le sang. Deux vieils hommes qui tentent d’échapper à la nuit qui va bientôt les engloutir. Je ne suis pas triste, je suis un vieil homme qui se souvient de sa jeunesse. Pour tout dire, je suis un regret, pas une promesse, voilà tout... Dernière comme on parle de dernier verre, celui qui permettra de se tenir sur la route ou au cinéma de dernière prise, celle destinée à contenir et à racheter toutes les autres. Celle dans laquelle on met encore, malgré l’angoisse dans laquelle on baigne du matin au soir, de l’espérance. Même si : - Tu veux dire que l’espoir est un mensonge ? dit Hammett - Pardieu, oui. L’espoir est un mensonge ? Cest même le plus courant des mensonges.

Un mélodrame mais aussi un rêve - Ernestino, la vie n’est qu’un rêve dont la mort nous réveille -. Un rêve où se mêlent vérité et fiction, la dernière permettant d’atteindre la première. Si une chose est fondamentalement juste, peu importe que l’on mente. Un rêve qui baigne dans une mélancolie toute nervalienne et qui charrie les remords de chacun. A chacun son remords, à chacun ses morts.

Guégan convoque donc ses doubles, personnages réels ou fictifs, d’autres lui-même, afin de dériver dans le temps et de rester malgré ce dernier et les avatars de l’histoire encore fidèle à ce qu’il fut, à ce qu’il est :
Communiste, il l’était.
Débauché, il l’était aussi.
Et il n’abjurerait ni sa foi ni ses moeurs.

Dans les dernières pages du roman, Hemingway semble encore une fois de plus rêver. Il voit venir vers lui ses anciens compagnons.
Sur les lèvres d’Hemingway, un sourire se dessine tandis que le soleil se couche.
Il semble heureux.
Pour combien de temps ?
Hemingway, Hammet, dernière aurait pu aussi s’intituler : romance.

Gérard Guégan, Hemingway, Hammet, dernière, Gallimard, 2018.