Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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samedi 30 avril 2005

Portrait de groupe.

Les Français, à en croire Talleyrand, firent la révolution par vanité. On pourrait dire autant des autres évènements de l'histoire de France. Que tous les peuples soient vaniteux, on n'en disconviendra pas, les Français pourtant plus que le reste; et ce défaut est si ancré en eux, qu'il en devient, sinon une qualité, en tout cas un ressort qui les incite à produire et à agir, à briller surtout; d'ou l'esprit, parade de l'intelligence, souci de l'emporter sur autrui coûte que coûte, d'avoir infailliblement le dernier mot. Mais si la vanité aiguise les facultés, détourne du lieu comun et combat l'indolence, elle fait en revanche de quiconque un blessé, un écorché; aussi par les souffrances qu'elle leur inflige, les Français ont-ils payé pour toutes les chances dont ils ont si abondemment joui. Pendant mille ans, l'histoire a tourné autour d'eux: pareille aubaine s'expie; leur châtiment a été et demeure l'irritation d'un amour-propre toujours mécontent, toujours inapaisé. Quand ils étaient puissants, ils se plaignaient de l'être pas assez; ils se plaignent maintenant de ne l'être plus du tout. Tel est le drame d'une nation gatée, ulcérée dans la prospérité non moins que dans l'infortune, avide et changeante, trop favorisée par le sort pour connaître la modestie, ou la résignation, impropre à garder la mesure tant devant l'inévitable que l'inespéré.
Cioran - Introduction à l'Anthologie des portraits.

vendredi 29 avril 2005

Questions pour un champion

1) RTT, j'en profite pour lire la "constitution" européenne. Enfin les parties I, II, et IV. J'ai acheté la version à 1,50 euros.
Questions:

Article I-1
Établissement de l'Union
L'Union est ouverte à tous les États européens qui respectent ses valeurs et qui s'engagent à les promouvoir en commun
Qu'est ce qu'un Etat européen?''

Article IV-444
Procédure de révision simplifiée
1. Lorsque la partie III prévoit que le Conseil statue à l'unanimité dans un domaine ou dans un cas déterminé, le Conseil européen peut adopter une décision européenne autorisant le Conseil à statuer à la majorité qualifiée dans ce domaine ou dans ce cas.
Pour l'adoption des décisions européennes visées aux paragraphes 1 et 2, le Conseil européen statue à l'unanimité, après approbation du Parlement européen, qui se prononce à la majorité des membres qui le composent.
Quel est le sens de cet article ubuesque?
En effet, supposont un pays s'opposant à une décision nécessitant l'unanimité. On voit mal pourquoi il autoriserait que ladite décision soit prise à la majorité qualifiée. Si il le faisait, ce serait purement et simplement un suicide politique.

Merci d'avance pour vos explications.

2) Le jeune Z. revient de sa première journée de concours.
Questions.

a) Regardez une montre mécanique à aiguilles! Montrez que les horlogers n'ont pas besoin d'une formation en physique quantique (on pourra notamment faire intervenir la taille et la masse des pièces du mécanisme...).

b) La description d'une antenne radio de puissance 1 kW relève-t-elle de la physique quantique lorsque émet à 1 MHz ?

(...)

Conclusion.
A partir de ces exemples, préciser le rôle joué par les modèles dans les sciences physiques. On se demandera en particulier si l'on peut dire d'un modèle qu'il est vrai ou faux.

Carnets (2)


Après avoir essayé, avec madame Mère, de définir le dasein, je baguenaude au Louvre.
Vais voir les Corot. Encore une fois ça ne se lève pas. Je vois bien ce qu'il veut faire, la gradation des tons etc...mais rien à faire cette peinture m'ennuie.
Petit détour par les Poussin. Suis finalement beaucoup plus sensible au caractère factice, à la fausseté des ciels de Poussin. Il ya chez Poussin comme un détachement, mais un détachement qui ne déboucherait pas sur de l'aigreur, qui en fait un moraliste.

Dans la préface à son Anthologie du portrait, Cioran, citant les Mémoires de Mme de Genlis sur le XVIIIème siécle, raconte l'historiette suivante:
La maréchale de Luxembourg s'amuse à feuilleter des livres d'heures.
Tout à coup elle s'arrêta sur deux ou trois prières particulières qui lui parurent du plus mauvais goût et dont en effet les expressions étaient bizarres.
Cioran y voit le signe d'une époque à son apogée et par conséquent à bout de souffle. Pour lui, peu importe que des prières soient de bon ou de mauvais goût, il importe qu'elles soient vraies. Il conclut ce siècle n'aimait et ne cultivait que l'exquis. La suite de l'Histoire est connue.
En écoutant un représentant de nos élites (un ex-premier ministre) parler de un miyon de personnes, je n'ai pu m'empêcher de penser que nous avions perdu et les prières et le goût.

Au Louvre le beau pastel de La Tour représentant Madame de Pompadour. Elle dans toute sa splendeur entourée, entre autres, de l'Esprit des Lois de Montesquieu, d'une planche de l'Encyclopédie. Entourée des symboles mêmes qui entraineront la chute de l'Ancien régime. La simple vue de ce pastel vous fait immédiatement douter d'une vision "marxiste" de l'histoire.

A la radio, la nuit, une émission consacrée à Milosz (1877-1939). Né en Biélorussie (l'actuelle Lithuanie) il écrivit en français. A son propos un commentateur nous précise (je cite de mémoire): C'etait un grand européen, il lisait de la littérature française, allemande, anglaise...
Et là, je me suis demandé si ce n'était pas le meilleure argument contre le projet de constitution, ou plus précisemment contre la vision fédéraliste qui le sous tend. Il ne lisait pas de littérature européenne mais de la littérature allemande, anglaise.
Je crains que l'on n'oublie un peu, ce que on a longtemps appelé, le génie des peuples.

mardi 26 avril 2005

Le départ

Yahvé dit à Abram: quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t'indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifirai ton nom; sois une bénédiction (...). Abram partit comme lui avait dit Yahvé, et Lot partit avec lui. Abram avait soixante quinze ans lorsqu'il quitta Harân. Abram prit sa femme Saraï (...); ils se mirent en route pour le pays de Canaan et ils y arrivèrent.
Genèse (12, 1-5).
Le départ comme obéissance.

Ayant, comme on le voit, complètement perdu l'esprit, il lui vint la plus étrange pensée que jamais fou ait pu concevoir. Il crut bon et nécessaire, tant pour l'éclat de sa propre renommée que pour le service de la patrie, de se faire chevalier errant, et d'aller par le monde avec ses armes et son cheval chercher les aventures comme l'avaient fait avant lui ses modèles (...).
Cervantes - Don Quichotte
Le départ comme folie.

Mais il advint que son coeur changea, et un matin s'étant levé avec l'aurore, il se présenta devant le soleil et lui parla ainsi (...):
Je voudrais donner, prodiguer ma sagesse, jusqu'au jour où les sages d'entre les hommes se sentiront heureux de leur folie, les pauvres heureux de leur richesse.
Il me faudra pour cela descendre dans les profondeurs, comme tu le fais chaque soir, quant tu plonges au-dessous de la mer pour aller porter ta lumière au monde souterrain, astre débordant de richesse.
Il me faudra comme toi décliner, ainsi que disent les hommes vers lesquels je veux descendre.(...).
Ainsi commença le déclin de Zarathoustra.
Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.
Le départ, le nouveau départ, comme affirmation.

Il déchira brusquement la moitié de la nouvelle primée et se torcha avec. Alors il remonta son pantalon, rajusta ses bretelles et se reboutonna. Il claqua la porte déclinquée et rétive des lieux, et quitta la pénombre pour le grand jour.
Joyce - Ulysse.
Prosaïsme du départ. Une nouvelle odyssée, un 16 juin 1904.

J'ordonnai qu'on sortît mon cheval de l'écurie. Le domestique ne me comprit pas. J'y allai moi-même, sellai mon cheval et le montai. J'entendis une fanfare au loin, je lui demandai ce que cela signifiait. Il n'en savait rien, n'avait rien entendu. A la porte, il me retint et me demanda:
- Ou vas tu maître?
- Je ne sais pas, dis-je, je ne veux que partir d'ici, seulement partir d'ici. Sans cesse partir d'ici, ce n'est qu'ainsi que je pourrai atteindre mon but.
- Donc, tu connais ton but?
- Oui répondis-je, ne te l'ai-je pas dit : partir d'ici, tel est mon but.
Kafka - Le départ.
Le départ pour le départ, sans autre motivation que lui même, sans lieu à atteindre.

Ne reste plus que,
L'angoisse.

lundi 25 avril 2005

Dans le métro

Face à moi une mère et sa fille. Je les regarde. La mère me sourit. Et dans ce sourire, comme la trace d'une certitude, d'une certitude qu'elle veut partager.
Elle sait qu'elle est plus belle que sa fille.

samedi 23 avril 2005

Ach so!

Un peu de sérieux.
Dans la revue Esprit de juillet 2004, je lis les contributions de Jürgen Habermas et de Joseph Ratzinger suite à un débat organisé, en janvier 2004, autour du thème suivant: Les fondements moraux prépolitiques d'un Etat libéral ou encore: Le droit positif, les procédures et les principes des Etats démocratiques suffisent-ils à garantir la solidarité qui doit régner dans une société libérale?
D'un coté Habermas, philosophe de la rationalité, défendant le libéralisme politique sous la forme particulière d'un républicanisme Kantien, adepte d'un idéal basé sur des arguments rationnels discutés collectivement et non sur des fondements indiscutés ( Dieu, la nature...). De l'autre Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

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jeudi 21 avril 2005

Euh!

Rapideu. Entendu sur France Culture, une dame Fraisse qui présentait l'une de ses ex collègue au parlement européen comme l'auteureu d'un rapport dont je ne me souviens plus de la contenançeu.
Bien entendu je suis passé immédiatement sur Rireu et Chansons. Pas de chanceu, ce n'étais pas Chevallier et Laspalès. J'ai éteint la radio et suis allé prendre une doucheu.

mercredi 20 avril 2005

Carnets

Stendhal, encore.
La marquise de Balbi (...) c'étaient toujours les plus beaux yeux du monde et les petites mines les plus gracieuses; mais, vu de près, sa peau était parsemée d'un nombre infini de petites rides fines, qui faisaient de la marquise comme une jeune vieille.
La littérature à l'état pur. Un nombre infini de petites rides fines...une jeune vieille... Une musique, un frémissement qui ne va pas au-delà de son objet, qui ne lui est pas extérieur - point de métaphore - mais qui l'entoure, l'enserre, l'exprime.
Ne m'interessent plus que les descriptions, les portraits.

Et les anecdotes. Celle ci, que je viens de lire et que je connaissais pas, à propos de Balzac.
Pendant les journées révolutionnaires de 1848, un ami lui rapporte les évènements. Au bout d'un moment, Balzac l'interrompt: "Revenons aux réalités." et se met à lui parler de son dernier roman.
A rapprocher de celle la, peut-être apocryphe, concernant Joyce.
Fin des années 30, Joyce se promène, tombe sur un graffiti injurieux concernant Blum. Il s'arrête, le lit et murmure à son compagnon: "Ah! J'ai bien connu un Bloom."

S. pour justifier un respect rigoureux de ses horaires de travail: "Je tiens à voir ma fille, et puis je dois lire et comprendre tout Heidegger."
Me suis quand même demandé si sa fille ne lui servait pas d'alibi à Heidegger.

Vu Saw. Dire que c'est idiot serait un euphémisme.

Ratzinger. La meilleure définition que l'on puisse en donner: Un théologien allemand.

lundi 18 avril 2005

A mon dernier repas.

On paraîtra peu sérieux si on remarque la date de naissance de Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon, le 16 janvier 1675, en pleine nuit, à Paris sous le signe du Capricorne, dans le domicile de Saturne. Le signe de la solitude inquiète, des cavernes de chrysanthèmes, des enfants nés vieux, insatiables dans la connaissance, le signe de Sainte-Beuve, d'Edgar Poë et de Cézanne...Je n'insiste pas. Comme il y avait de belles choses à dire!
Francois-Régis-Bastide - Saint-Simon par lui même (Ecrivains de toujours)
Déniché sur les quais, et immédiatement acheté (5 euros) juste à cause des mots: Des enfants nés vieux.

Passer mes derniers moments en compagnie de Saint-Simon, de Borges et de Joyce, revoir une fois de plus Rio Bravo, quelques films de Mizoguchi, écouter La jeune fille et la mort de Schubert, c'est tout le mal que je me souhaite.

samedi 16 avril 2005

Ma mère

Ma mère découvre les plaisirs du DvD, l'arrêt sur image, le retour en arrière...Il faut dire qu'elle n'est pas passée par la case magnétoscope, et que je lui ai prêté Mulholland Drive. Avec le film de Lynch, elle a de quoi faire. Ma mère aime comprendre, alors elle téléphone aux uns, aux autres. Elle me téléphone. Je lui parle de rêve, d'anneau de Moebius, de All about Eve, de la machine hollywoodienne. Mais cela ne lui suffit pas. Et la boite? Elle s'adresse à un jeune homme qu'elle ne connait pratiquement pas. Ce dernier lui répond, nouvelle idée reçue, qu'il n'y a rien à comprendre. ma mère ne le rappelera plus jamais, elle le dit: C'est un jeune con, car pour elle une grande oeuvre d'art c'est une oeuvre dans laquelle il y a justement tout à comprendre. Alors ma mère cherche, sort ses cours (elle suit les cours d'Yves Hersant) et se souvient d'un dessin de Michel-Ange: Le Songe[1]
Panofsky voyait dans ce dessin une allégorie représentant la victoire de la vertu sur les vices, les personnages entourant le jeune homme symbolisant les pêchés capitaux. Il semblerait que cette interprétation soit fausse, et qu'il faille, plutôt, y voir une figure de la mélancolie, du rêve éveillé. Le jeune homme, un artiste, vient tout juste de se réveillé, son corps est empreint de lascivité. Touché par l'inspiration, il est spectateur de sa propre création. Cette dernière contient encore les traces de ses rêves, elle est informe, esquissée, à l'état d'ébauche, non finito. L'artiste doit cependant veiller à ne pas tomber dans la folie, le délire. D'accord, mais la boite, celle sur laquelle le jeune homme est assis ? Elle représenterait le monde théatral, on y voit des masques, le monde de l'illusion qui aurait une moindre valeur que le monde de la création picturale. Nous sommes en plein néo-platonicisme. Ma mère fait le lien avec le film de Lynch, voit dans la boite les forces de l'illusion, qui ne sont pas celles du rêve qui permettent d'accéder à la véritable création à condition de les controler et de ne pas se laisser engloutir. L'héroïne du film lutterait contre l'illusion du spectacle, et tenterait vainement de donner forme à ses rêves.
Une fois de plus, ma mère me téléphone, me fait part de son interprétation et me donne, par la même occasion, l'idée de ces quelques lignes, qu'elle ne lira pas, mais que je lui dédie.

[1] Je n'ai pas retrouvé sur Google le dessin de Michel-Ange. En illustration une peinture de Holwell Carr Bequest (1831) d'après le dessin. La peinture donne une idée du dessin au détail prêt, mais détail qui à toute son importance, que les figures entourant le personnage principal sont esquissées dans le dessin de Michel-Ange.

Société de cour.

Si le Roi savait bien aimer mon père, aussi savait-il bien le reprendre, dont mon père m'a raconté deux occasions. Le duc de Bellegarde, grand écuyer et premier gentilhomme de la chambre, était exilé; mon père était de ses amis et premier gentilhomme de la chambre aussi, ainsi que premier écuyer et au comble de sa faveur. Cette dernière raison et ses charges exigeaient une grande assiduité, de manière que, faute d'autre loisir, il se mit à écrire à M. de Bellegarde en attendant que le Roi sortît pour la chasse. Comme il finissait sa lettre, le Roi sortit, et le surprit comme un homme qui se lève brusquement et qui cache un papier. Louis XIII, qui, de ses favoris plus que de tous les autres, voulait tout savoir, s'en aperçut et lui demanda ce que c'était que ce papier qu'il ne voulait pas qu'il vît. Mon père fut embarrassé, pressé, et avoua que c'était un mot qu'il écrivait à M. de Bellegarde. « Que je voie ! » dit le Roi ; et prit le papier et le lut. « Je ne trouve point mauvais, dit-il à mon père après avoir lu, que vous écriviez à votre ami, quoique en disgrâce, parce que je suis bien sûr que vous ne lui manderez rien de mal à propos ; mais ce que je trouve très mauvais, c'est que vous lui manquiez au respect que vous devez à un duc et pair, et que, parce qu'il est exilé, vous ne lui écriviez pas Monseigneur. » Et déchirant la lettre en deux : « Tenez, ajouta-t-il, voilà votre lettre ; elle est bien d'ailleurs ; refaîtes-la après la chasse, et mettez Monseigneur, comme vous le lui devez. » Mon père m'a conté que, quoique bien honteux de cette réprimande, tout en marchant devant du monde, il s'en était tenu quitte à bon marché, et qu'il mourait de peur de pis pour avoir écrit à un homme en profonde disgrâce et qui ne put revenir dans les bonnes grâces du Roi.
Saint-Simon - Parallèle des trois Rois

Préséances et vertus, vertus et préséances.

jeudi 14 avril 2005

Adverbe de temps

Dans Libération, portrait de José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. L'homme est présenté comme un conservateur qui s'appuie fortement sur la droite européenne. Bref ça ronronne, quand soudain ces quelques lignes: Ce père de 3 enfants, (21, 18 et 16 ans), toujours marié avec leur mère (...). Arrêt. C'est mal écrit, mais on a l'habitude. D'accord, mais que diable vient faire ce toujours marié, que veut il nous dire? Faut il comprendre que M Barroso vit, en fait, séparé de sa femme alors qu'il est toujours marié? L'homme serait alors une sorte d'hypocrite, et son mariage ne serait plus qu'une union de façade? Le sous-entendu comme une figure de style journalistique. On la croyait réservée aux tabloïds anglais. Ou alors qu'il est toujours marié au moment de l'écriture de l'article mais que cette situation matrimoniale ne durera pas? Ou bien y voir le signe de l'indécrotable conservatisme de M Barroso, son incapacité à se renouveller, à humer l'air du temps? Songez toujours marié et qui plus est avec la mère de ses enfants, de ses trois enfants! Fichtre, voila un homme dangereux. Ou alors peut-être est ce, simplement, l'incapacité du journaliste à concevoir ce fait, celui d'être toujours marié; la surprise devant, ce qui semble être devenu un non pensable par la modernité, la permanence.
Tiens, puisqu'on y est, restons dans un champ lexical (pour parler comme la jeune Z) identique. Lu dans le Monde, à propos des violences commises lors du défilé lycéen du 8 mars, cette déclaration du subsitut du procureur en charge des mineurs au parquet de Bobigny: La plupart étaient à la recherche de victimes faciles pour les voler. Il s'est passé dans Paris ce qui arrive habituellement en Seine-Saint-Denis ou dans le RER.
Habituellement ah bon! Vous me direz que ça vaut quand même mieux que toujours.

mercredi 13 avril 2005

Tours et détours

Court séjour en Stendhalie. Fabrice à Waterloo, la débâcle.
...le tapage sur la grande route continuait, et avait duré toute la nuit : c'était comme le bruit d'un torrent entendu dans le lointain.
- Ce sont comme des moutons qui se sauvent, dit Fabrice au caporal, d'un air naïf.
Et là, dans le train, se demander ce qu'avait du ressentir, en juin 40, un jeune homme lisant la Chartreuse faces aux foules de l'exode. Et songer que Maurice Bardèche, collaborateur, et Jean Prévost, résistant mort dans le maquis du Vercors, furent de grands stendhaliens.
Détour chez Hobbes, J'ai cependant envie de relire Hobbes (Stendhal - Journal, 1804). Pierre Manent dans son Histoire intellectuelle du libéralisme montre bien comment la notion d'individu est au coeur de la pensée de Hobbes. Si par individu, on entend un être dont la volonté n'appartient qu'à lui, la volonté est chose de l'individu, elle ne peut être représentée, alors cette volonté ne peut trouver une règle que dans une autre volonté qui doit lui imposer obéissance; le pouvoir du souverain (peu importe qu'il soit un ou plusieurs) ne lui appartenant que parce qu'il lui est donné par ses sujets. Paradoxalement, c'est parce que la souveraineté illimitée est extérieure aux individus qu'elle est garante de leur liberté. Ce que la loi n'interdit pas, je suis libre de le faire. Point d'idée de volonté générale chez Hobbes qui empiéterait sur l'intégrité de l'individu; Hobbes (je cite Manent) est absolutiste parce qu'il est très rigoureusement individualiste.
Ces quelques lignes simplificatrices (trop!) n'ont pas la prétention à l'exhaustivité mais, à l'heure où un président de la République va se faire interroger par un panel de jeunes représentatifs (c'est moi qui souligne ) et un quarteron d'animateurs de télévision, ce détour par Hobbes est assez revigorant.
Retour à Stendhal. Quelquefois son imagination ardente lui cachait les choses, mais jamais avec elle il n'y avait de ces illusions volontaires que donne la lâcheté. (La Chartreuse de Parme). Stendhal disait du roman : C'est un miroir qu'on promène le long du chemin. S'y voir, à fortiori en creux, n'est pas toujours une chose agréable.

jeudi 7 avril 2005

Enfantillages

L'immense avantage du monde qui va tel qu'il va, c'est qu'il ne nous étonne plus. Sa prévisibilité est finalement assez reposante. Ainsi ce matin sur France Inter, présentation de l'exposition Matisse au Musée du luxembourg, exposition consacrée aux dernières années du peintre et à son travail sur les gouaches découpées. L'étonnant eut été que l'on nous présente ce travail un tant soit peu sérieusement mais que nenni; nous avons eu droit aux commentaires d'un enfant. On ne s'apesantira pas sur le grotesque de la chose, puisque le grotesque est devenu notre commun, mais plutôt sur ce qui nous semble un signe des temps ou nous vivons.
Qu'est ce qu'un enfant? Un être sans histoire, étymologiquement qui ne parle pas. Qui ne parle pas et ce parce qu'il n'a rien à dire, qui n'a pas d'histoires à raconter. On raconte des histoires aux enfants, ils ne nous en racontent pas; ils ont tout juste des mots. Sans histoire parce que vivant dans un temps non borné. C'est Borges (encore lui!) qui disait que les animaux et les enfants étaient les seuls êtres immortels qu'il connaissait, car n'ayant pas conscience de la mort. Un être oublieux.
Qui est Matisse en 1944, au moment des premiers papiers découpés? Un homme malade, perclus par la maladie. Un homme qui dit qu' avec plus d'absolu, plus d'abstraction, il a atteint une forme décantée jusqu'à l'essentiel et qu'il a conservé de l'objet le signe qui suffit et qui est nécessaire à le faire exister dans sa forme et pour l'ensemble dans lequel il a été conçu. Un homme qui nous dit que ce n'est pas un départ mais un aboutissement. Un peintre qui toute sa vie a essayé de faire la synthèse entre l'arabesque et la couleur, entre Ingres et Delacroix et qui pense y être parvenu. Un homme qui pour reprendre la formule de Barrès est un de ces artistes devenus vieillards, pressés de s'expliquer qui contractent leurs moyens d'expression et qui atteignent à la concision des égnimes ou des épitaphes. Un homme à la recherche d'un espace spirituel, un espace qui aurait l'étendu de son imagination. Bref, un homme qui sait qu'il va mourir. L'absolu contraire d'un enfant.
Tout se passe comme si le temps de l'enfant, qui n'est pas le temps de l'enfance puisque ce dernier présuppose un age adulte, avait gagné. Comme si les mots de l'enfant devaient se substituer à l'histoire des hommes.
Mes courbes ne sont pas folles disait Matisse, laissons lui donc, envers et contre tout, le dernier mot.

lundi 4 avril 2005

Ilet du Gosier

Je me souviens que le mot Castel Gandolfo entendu, alors que j'étais enfant, sur une terrasse ensoleillée donnant sur l'ilet du Gosier était pour moi le comble de l'exotisme, de l'ailleurs. J'ai longtemps cru que dans Colombey-les-deux-églises, colombey était un verbe dont la signification m'échappait; une sorte de rite mystérieux.
Je ne me souviens pas de la mort de Paul VI, alors que j'avais déja près de vingt ans.
En fait le pape dont la mort m'a le plus marqué est Clément XIV(1769-1774). A douze ans j'ai lu dans Les Hommes de la liberté de Claude Manceron ces lignes extraites d'une Histoire des Jésuites du Comte de Saint-Priest :
Les hommes de l'art appelés pour l'embaumer trouvèrent un cadavre au visage livide, aux lèvres noires, à l'abdomen enflé, aux membres amaigris et couverts de tâches violettes. Le volume du coeur était très diminué, tous les muscles détachés et décomposés dans l'épine dorsale. On eu beau remplir le corps d'aromates et de parfums, rien ne put dissiper ses exhalaisons méphitiques. Les entrailles de Clément rompirent le vase qui les contenait. Lorsqu'on le dépouilla de ses habits pontificaux, une grande partie de sa peau y demeura collée. La chevelure resta toute entière sur le coussin de velours qui soutenait la tête, et un simple frottement fit tomber tous les ongles l'un après l'autre.
Ces mots je m'en souviens encore.
Depuis ce temps plusieurs années se sont écoulées, et mon enfance est morte sans que je cesse d'être vivant.[1]

[1] Comme Philippes peut le constater, j'ai suivi ses conseils et lu quelques pages de Saint Augustin.