Essential Killing, Jerzy Skolimowski.

Un homme, c'est un combattant afghan qui fait prisonnier dans son pays par les forces américaines s'est évadé lors de son transfert vers une de ces prisons secrètes que l'on dit situées en Europe (La Pologne ?). Un homme poursuivi, au cœur de l'hiver, de la forêt, d'un monde étranger. Il fuit.
Une rencontre, celle d'une femme, une servante. Elle l'héberge, ils ne se parlent pas, tente de le soigner. Au matin, le dernier des matins, le dernier regard, il part à cheval. La caméra le suit, il disparaît à travers les arbres; le mouvement de la camera continu jusqu'à venir recadrer la jeune femme qui du seuil de la maison se dirigera vers le fond du plan et en disparaîtra elle aussi. Jerzy Skolimowski vient d'accomplir là un des plus beaux gestes cinématographiques qu'il m' ait été donné de voir au cours de ces dernières années. Un geste qui garde sur l'écran, le souvenir de deux solitudes, un geste, qui à la manière de celui fait par un peintre s'inscrit à la surface de l'écran.
On a parlé à propos d'Essential Killing d'épure (un scénario minimal : un homme poursuivi, une quasi absence de dialogue), c'est, selon moi, un véritable contresens tant chaque plan déborde de mouvements (fabuleuse séquence des chiens), de lignes, de taches, de lumière et, s'il fallait chercher des références ce serait plutôt du coté Joan Mitchell ou de Mark Rothko (fabuleux plan sur la burqua flottant dans le ruisseau), d'un art qui chercherait à rendre compte de l'incommensurabilité du monde.
Le film décrit un parcours, celui d'un homme qui dans une première partie subit un un processus de déshumanisation de la part d'une civilisation maitre et possesseur de la nature. Il s'agit pour les geôliers d'engager un processus de réification, et non pas d'animalisation, de l'être.
Cette question de l'animalité sera l'une des questions centrales de la deuxième partie du film, ce sont des sangliers qui enclencheront la libération de Vincent Gallo et, on ne peut que penser à ce qu'en dit Deleuze dans son Abécédaire. Skolimowski filme alors la limite qui sépare le langage du silence, le langage du cri, l'humanité de l'animalité.
Skolimowski filme à partir de cette limite de telle façon qu'on ne soit plus séparé de l'être du monde. Essential Killing est un film religieux au sens premier du mot, celui de religare.
Le dernier plan va encore plus loin puisqu'il rend compte non pas de la disparition du personnage principal mais de sa métamorphose, Skolimowski nous montre de façon littérale et magistrale le devenir animal de son héros, toute frontière est alors abolie. Le film est par ailleurs traversé de nombreux flash-back qui viennent comme éclore à sa surface et, qui paradoxalement annoncent des scènes à venir. Temps et espace sont abolis.
Un cheval se souvient.