L'enfant venait d'entendre de ce côté un bruit, qui n'était ni le bruit du vent, ni le bruit de la mer. Ce n'était pas non plus un cri d'animaux. Il pensa qu'il y avait là quelqu'un.
En quelques enjambées il fut au bas du monticule.
Il y avait quelqu'un en effet.
Ce qui était indistinct au sommet de l'éminence était maintenant visible.
C'était quelque chose comme un grand bras sortant de terre tout droit. A l'extrémité supérieure de ce bras, une sorte d'index, soutenu en dessous par le pouce, s'allongeait horizontalement. Ce bras, ce pouce et cet index dessinaient sur le ciel une équerre. Au point de jonction de cette espèce d'index et de cette espèce de pouce il y avait un fil auquel pendait on ne sait quoi de noir et d'informe. Ce fil, remué par le vent, faisait le bruit d'une chaîne.
C'était ce bruit que l'enfant avait entendu.
Le fil était, vu de près, ce que son bruit annonçait, une chaîne. Chaîne marine aux anneaux à demi pleins.
(...)
Une brise faible agitait la chaîne, et ce qui pendait à la chaîne vacillait doucement.
C'était ce qui n'est plus.
(...)
Le cadavre au bout de la chaîne, poussé par le souffle invisible, prenait une attitude oblique, montait à gauche, puis retombait, remontait à droite, et retombait et remontait avec la lente et funèbre précision d'un battant. Va-et-vient farouche. On eût cru voir dans les ténèbres le balancier de l'horloge de l'éternité.
(...)
Le mort sembla pris d'une vie monstrueuse. Les souffles le soulevaient comme s'ils allaient l'emporter; on eût dit qu'il se débattait et qu'il faisait effort pour s'évader; son carcan le retenait. Les oiseaux répercutaient tous ses mouvements, reculant, puis se ruant, effarouchés et acharnés. D'un côté, une étrange fuite essayée; de l'autre, la poursuite d'un enchaîné. Le mort, poussé par tous les spasmes de la bise, avait des soubresauts, des chocs, des accès de colère, allait, venait, montait, tombait, refoulant l'essaim éparpillé. Le mort était massue, l'essaim était poussière.
(...)
On entendait en bas un grondement immense, qui était la mer.
Victor Hugo, L'Homme qui rit.

Il s'agit d'un acte de soulèvement autre : soulèvement contre la domination totalitaire du présent qui veut ravir à l'individu et extirper de son champ toute présence d'un passé inexpliqué, d'un devenir historique, d'un temps mythique. Il est selon son essence souvenir de ce qui gît au fond de nous, et dans cette mesure il est une initiation religieuse ou protopolitique. Il est toujours et existentiellement une imagination de la Perte et non de la Promesse (terrestre). C'est donc une imagination de poète, depuis Homère jusqu'à Hölderlin.
Botho Strauss, Le Soulèvement contre le monde secondaire.