Dessin de Lydia Cabrera, Paris-soir, 20 décembre 1934

En cette deuxième quinzaine du mois de décembre 1934, le feuilleton de Paris-soir - Les Fils de Balaoo - touche à sa fin. Signé Gaston Leroux, celui-ci est mort en 1927, le texte se présente comme un manuscrit retrouvé et la suite de Balaoo, roman de 1912. Il s'agit en fait d'une "adaptation" de Stanislas-André Steeman, un roman à la construction chaotique et aux invraisemblances délibérées : une bande de singes sous l'autorité de singes savants - des anthropopithèques, singes ayant acquis la faculté de parler (en français !) - enlèvent les principaux hommes politiques de divers pays, les trépanent afin de les rendre meilleurs et d'établir l'ère de bonté (et encore cela n'est qu'un des aspects du récit). Le dernier épisode paraît le 21 décembre 1934.


Paris-soir, 14 décembre 1934

Dès le 14 décembre, Paris-soir annonce son nouveau feuilleton : Le Zombie, un roman d'aventures comme on n'en jamais lu de Francis de Miomandre (écrivain qui a mes faveurs). Francis de Miomandre qui, 1908, obtint le prix Goncourt pour Écrit sur de l'eau..., roman qui dans un genre mineur est un chef d'oeuvre. Qui en 1947 consacra un livre à son caméléon : Je t'aimais, petite chose bouleversante, goutte d'émeraude tombée dans le creux de la main. On lui doit une traduction du Quichotte, la découverte de livres d’Unamuno de H. Quirogua entre autres
Le jour suivant, nouvelle annonce.


Paris-soir, 15 décembre 1934

Ces deux premiers dessins ne sont pas attribués mais le 20 décembre (troisième et dernière annonce) on peut lire le nom de Lydia Cabrera.
Avant de revenir à cette dernière, notons que le zombie fait, en ce début des années 30, son entrée dans l'imaginaire occidental. En 1932, sortent à la fois le film ''White Zombie'' de Victor Halperin et L'Île magique - Les mystères du vaudou, traduction française de The Magic Island (1929) de William Seabrook. Le livre est préfacé par Paul Morand.
Lydia Cabrera est principalement connue pour ses travaux ethnologiques (plus d'une centaines d'ouvrages) sur la santeria, culte afro-caribéen pratiqué à Cuba. En 1943, elle traduira en espagnol Cahier d'un retour au pays natal de Césaire.
Née en 1899 à La Havane dans une famille nombreuse (elle est la dernière de 8 enfants) de la bourgeoisie blanche, elle passe son enfance et sa jeunesse entourée de domestiques noirs. Son père possède un journal auquel elle collabore, dès l'âge de 13 ans, en tenant le carnet mondain. En 1927, par goût de l'indépendance, elle part à Paris, souhaite devenir artiste, entre à l'école du Louvre. Son séjour parisien durera 11 ans. Et c'est dans ce Paris foisonnant qu'elle fera la connaissance de Francis de Miomandre.


Lydia Cabrera à Paris.

Quand se sont-ils rencontrés, je ne le sais. Est-ce lui qui la proposa pour effectuer le dessin pour Paris-soir ? Là encore je n'ai pas de réponse. En 33, elle illustre un roman de F. de Miomandre. La chose certaine est que, en ce milieu des années 30, il est profondément amoureux de la cubaine. Il faut ajouter aussi que Lydia aime aussi les femmes. Dans une lettre non datée, il lui écrit



Le 30 décembre 1933 paraît, sous la signature de Lydia Cabrera, dans Les Nouvelles littéraires, un conte initulé : La Pintade miraculeuse sous-titré Conte nègre de Cuba. Le conte est traduit de l'espagnol par F. de Miomandre. Le présentant, le traducteur écrit :
Ce récit fait partie d'un recueil que Mlle Lydia Cabrera a consacré aux nègres de Cuba. Elle les a beaucoup fréquentés, les connaît bien, eux et leurs rêves empreints de la vieille, de l'indestructible magie africaine et aussi de cet humour étrange, attendrissant que leur a sans doute donné la transplantation aux Antilles. Ces récits. Mlle Cabrera les a inventés, non d'après d'autre récits, mais d'après l'atmosphère où ces primitifs ont eux-mêmes trouvé leurs légendes. La traduction, malheureusement, ne peut, rendre l'accent, le caractère d'incantation des parties chantées. Pour le reste, elle est fidèle. Il convient de noter que ces contes n'ont pas encore paru en espagnol. Ils sont donc absolument inédits.
Suivront en 1935 la publication de trois contes dans La Revue de Paris et de Le Crapaud gardien dans les Cahiers du Sud.''
Francis de Miomandre est fasciné.Tu as du génie lui dira-t-il. Lydia mia.


Apopoito Miama.

Lydia Cabrera ne contente pas de retranscrire les contes de ses domestiques noirs, elle effectue un véritable travail de re-création Il n'est plus alors question de peinture :C'est au bord de la Seine que j'ai découvert ma vocation.
En 1936, F. de Miomandre convainc Gaston Gallimard de publier, dans sa collection La Renaissance de la nouvelle, le recueil dont il est question dès 1933. Il assure la traduction des textes tandis que Paul Morand Morand en fait la préface. Le monde est petit.



Rendant compte de l'ouvrage, Jean Cassou évoque assez curieusement le livre d'une jeune fille (L. Cabrera a tout de même 37 ans) et la figure de Fermina Marquez : On sait, par les romans de Larbaud combien les jeunes filles hispanoaméricaines peuvent être exquises et dequels paradis précieux, odorants, innocents et sucrés elles sont annonciatrices. Celle-ci a été élevée dans les secrets que gardent entre eux les pauvres nègres de Cuba. Il lui a été donné d'entendre les merveilles de leur folklore et de partager leur goût frénétique de la musique et de la danse. Et à travers les rapports qu'elle nous en fait, on devine toutes les misères et toutes les résignations de l'existence de ces gens. Une amertume se glisse à travers ces histoires...
Les années passent. Lydia Cabrera est retournée à Cuba. En 54, elle publie son grand oeuvre : El monte.
Le 1er mars 1951, F. de Miomandre adresse une lettre à Lydia. Fidèle, il se démène pour faire publier de nouveaux contes nègres. Cherche à faire intervenir Otavio Paz qui ne bouge pas malgré ses promesses. Un farceur.
Lydia mia
mas que nunca mia
(...)
Je n'ose te parler de mes affaires, qui sont lamentables. La vie littéraire est devenue pire qu'une jungle. C'est un vivier de requins et de pieuvres. Tu imagines la vie que peut mener là-dedans cette pauvre sardine que je suis (...)
Décidemment les seuls vrais civilisés sont les Congos et les Lukumis...
Francis de Miomandre meurt en 1959. Il a 79 ans.
Exilée à Miami où elle a vécu avec sa compagne Titina de Rojas, elle a fuit son île aux lendemain de la révolution, Lydia Cabrera s'éteint à 92 ans. Parmi ses papiers, on retrouvera une photographie de Francis de Miomandre enfant.