- Voyons mes amis, relisez donc Borges et sa Secte du Phénix et vous saurez alors que le secret le plus fermement secret est qu'il n'y a... pas de secret...
J. Asensio.

(Je sais, je prends des risques).

Voici ce que l'on peut lire dans une note à propos de Philippe Sollers. Il ne s'agit pas ici de prendre la défense de Sollers (notre Catulle Mendès écrivait un correspondant ; formule la meilleure, du moins la plus concise, qu'il m'ait été donnée de lire) mais d'apporter une correction - et aussi, il faut bien l'avouer, m'amuser - de corriger donc ce qui est une mauvaise interprétation d'une nouvelle d'un auteur qu'il m'arrive de fréquenter.
L'argument du court texte de Borges (in Fictions) est le suivant. Il existe une secte - la secte du Phénix - dont l'origine est inconnue quoique très ancienne, dont les membres ne se distinguent pas de tous les hommes, ne font l'objet d'aucune persécution, mais qui sont unis par une seule chose : le Secret. Ce secret est constitué par un rite qui ne sera jamais décrit avec précision.

Le Secret est sacré, mais il n'en est pas moins un peu ridicule ; l'exercice en est furtif et même clandestin, et ses adeptes n'en parlent pas. Il n'existe pas de mots honnêtes pour le nommer, mais il est sous entendu que tous les mots le désignent ou, plutôt, qu'ils y font inévitablement allusion (...).

La nouvelle se conclut par ses mots.

J'ai mérité dans trois continents l'amitié de nombreux dévots du Phénix. Je suis persuadé que le Secret, au début, leur parut banal, pénible, vulgaire et (ce qui est encore plus étrange) incroyable. Ils ne voulaient pas admettre que leurs ancêtres se fussent rabassés à de semblables manèges. Il est étrange que le Secret ne se soit pas perdu depuis longtemps ; malgré les vicissitudes du globe, malgré les guerres et les exodes, il arrive, terriblement, à tous les fidèles. Quelqu'un n'a pas hésité à affirmer qu'il est devenu instinctif.

Contrairement à ce qui a été écrit, il existe donc bien un secret, mais ce se secret, alors que tout secret implique une connaissance, n'est plus connu. On reconnait là un des paradoxes fréquemment employés par Borges : la coïncidence dans la même figure de deux états contradictoires (Vérité et mensonge dans Emma Zunz, Mort et vie dans Le Mort, le vraisemblable et l'invraisemblable dans L'imposteur invraisemblable Tom castro, Judas comme figure du Christ dans Trois versions de Judas...).
Puisque secret il y a, reste à en caractériser la teneur.
J'ai commencé à lire Borges aux environs de mes quatorze ans. Je me souviens encore de l'exemplaire de Fictions dans la collection Folio avec cette citation de Claude Roy en quatrième de couverture (de mémoire) - Borges changera votre façon de voir le monde -, et La Secte du Phénix devint une de mes nouvelles préférées parce que l'une des plus accessible, mais aussi surtout parce que du secret j'avais su en déterminer la nature.
En 1993, je fis l'acquistion du premier tome des Oeuvres Complètes dans La Pléiade (je suis l'heureux propiétaires des deux volumes, ceux là mêmes dont la Veuve empêche toute réédition) dans lequel je pus lire cette note de JP. Bernès.

Borges a livré explicitement à Ronald Christ, au cours d'un entretien, en 1968, le secret de La Secte du Phénix, qui n'est autre que la copulation : « Eh bien l'acte c'est celui dont Whitman dit : « L'époux divin le connait, de par l'oeuvre de paternité ». La première fois que j'ai entendu parler de cet acte, quand j'étais petit garçon, j'ai été scandalisé à l'idée que ma mère et mon père l'avaient accompli. C'était une découverte stupéfiante, non ? Mais il faut dire que c'est un acte d'immortalité, un rite d'immortalité n'est-ce pas ? »

Vingt ans après mes intuitions d'adolescent se trouvaient confirmées et Borges continue, pour toujours, de changer ma façon de voir le monde.

PS : Une approche amusante du dernier Sollers, ici.