Le motif aurait pu représenter des microcircuits ou le plan d'une ville.
W.Gibson - Neuromancien.

Il n'y a rien presque à sauver, aucun, absolument aucun plan n'est digne me dis-je, d'être justement appelé plan, mais qu'est-ce alors?
Zohiloff.

Encore une fois, il convient de célébrer l'intelligence du cinéma américain, ou plutôt l'acuité du regard qu'il porte sur le monde contemporain.
Via le journal Libération, je découvre Frederic Jameson et sa formule sur l’incapacité pour nos esprits, du moins pour le moment, de dresser une carte de l’immense réseau de communication mondial, multinational et décentré dans lequel nous nous trouvons pris comme sujets individuels. Comment alors penser et mettre en scène un espace qui permet au corps - et comment mettre en scène ce corps ? - d'aller au-delà de ses capacités cognitives et sensorielles, d'échapper aux repères orthonormés du plan ou de la carte. Comment filmer cette transformation de l'espace ? Comment filmer un déraciné ? C'est à ces questions que répond Paul Greengrass dans The Bourne Ultimatum (La Vengeance dans la peau) et ce non à travers un film de science-fiction (que restera-t-il de la trilogie Matrixienne ?) mais avec un film d'espionnage et d'action (réseau, complot et baston).
On comprend dès lors qu'une telle représentation spatiale implique l'abandon de l'unité du plan-séquence, où personnage et spectateur sont assignés à une place autour de laquelle se structure la séquence. Dans The Bourne Ultimatum, à la fragmentation de l'espace correspond la fragmentation des plans, à l'ordonnancement classique et moderne est substitué l'absence de coordonnées, ceux-ci ayant littéralement perdues toute valeur.
Le monde du réseau ne peut être compris qu'en référence avec le monde urbain et on ne peut comprendre la ville qu'en référence avec le réseau. Les villes seront filmées comme des microcircuits, et être poursuivi sera équivalent à une programation informatique.
Ces divers points sont illustrés de facon hallucinante dans une séquence à Waterloo station où Bourne s'apprêtre à rencontrer un journaliste. Ce dernier, suivi par des agents de la CIA et observé, via le réseau de caméras, depuis un bureau de l'agence situé à New-York, sera "programmé", via un téléphone portable, par Bourne afin d'échapper à la surveillance dont il fait l'objet. Frôlement des corps, espace sans direction et empilés (Londres et New-York), croisement des réseaux et des points de vue, décentrement...
Comment alors raconter une histoire si l'espace est devenu irreprésentable? En jouant en contrepoint sur la dimension temporelle, en faisant de la mémoire le thème du film et sa structure même, puisque, incroyable tour de force scénaristique, The Bourne Ultimatum prend place à l'intérieur du précédent opus de la série, le film fonctionnant alors à la manière d'un compte à rebours, le séquence finale renvoyant d'ailleurs à l'épisode 1. A ce propos il convient de noter que si l'espace urbain, de Dickens à Conrad, en passant par Conan Doyle jusqu'au film noir, a souvent été montré comme impénétrable, cette impénétrabilité, que l'on qualifiera de classique, n'est pas l'équivalent de l'incapacité définie par Jameson. Cest cette impénétrabilité qui sera d'ailleurs mise en scène de façon spectaculaire au cours d'une poursuite sur les toits et à travers les rues de Tanger.
Ce donc à quoi nous invite The Bourne Ultimatum, c'est à un voyage rétrospectif dans l'histoire d'un genre, à une remontée aux origines.