Longtemps, je me suis fait l'idée que « elle bat le beurre », que l'on retrouve dans l'expression « et ta soeur ! elle bat le beurre » avait une connotation sexuelle : qu'il fallait y voir une allusion à la masturbation féminine. Je n'en connaissais pas d'autres occurences. Il me semblait donc, de façon intuitive puisque rien n'était jamais venu corroborer cette idée, que par une sorte de glissement métonymique on pouvait dériver de soeur à femme ; de femme à sexe féminin ; de sexe féminin à motte ; de motte à beurre ; de battre le beurre à branler. J'étais rempli de certitudes. Aussi quelle ne fut pas ma surprise, hier soir vers 11h, de lire, dans La colère de Maigret (G. Simenon - 1962), ceci : « Au fond, s'il (Maigret) était de si mauvaise humeur, c'est qu'il avait l'impression de battre un beurre par sa faute ». Un monde s'écroulait, Maigret pouvait battre un beurre (le passage de l'article défini à l'article indéfini est d'ailleurs assez curieux). Malgré l'heure tardive une recherche s'imposait. Rien dans le Robert (1960), dans le Littré. L'expression était inconnue du Trésor de la langue française.J'eu plus de chance avec l'article beurre de Wikipédia : « Battre le beurre : perdre les pédales, perdre tous ses moyens ». Le plus précis fut Le Petit Larousse : « Belgique, Fam. Battre le beurre : s'embrouiller. » Il s'agissait, dans le cas présent, d'un belgicisme (1) dont je ne sais s'ils sont fréquents dans l'oeuvre de Simenon. Maigret est en colère, il s'en veut d'avoir laissé échapper l'indice qui l'aurait amené vers la solution ; au lieu de quoi il a emprunté des chemins tortueux dans lesquels il finit par se perdre. Mais comment était-on passer de l'opération nécessaire à la fabrication du beurre à la notion de confusion ? Un début de réponse se trouvait peut-être (grâces en soient rendues à Europeana) dans La Fortune de Gaspard de la Comtesse de Ségur.

Elle continuait pourtant à battre son beurre, qui ne voulait pas prendre.
LA MÈRE
C’est singulier ! il y a plus d’une heure que je bats ! Et le beurre ne prend pas…

La mère a beau battre la crème, elle y a passé plus d'une heure, rien ne vient, l'opération est difficile, tout va de travers, pas de beurre à l'horizon, le chemin ne mène nulle-part.
je commençais à y voir un peu plus clair. Etait-ce certain ? Car, en effet, on ne voyait pas bien, pourquoi à celui qui voulait s'occuper de vos affaires on répondait - et ta soeur ! est- ce que je m'occupe de ta soeur moi, de ses activités, n'est-elle pas en train de battre le beurre. En quoi le fait de s'embrouiller, de perdre pied, d'exercer une activité sans résultat pouvait être considéré comme répréhensible ? A cette question, il me faut avouer n'avoir toujours pas de réponse...Il se faisait tard, j'étais fatigué, je suis allé me coucher.

(1) Il me revient qu'en créole, se branler c'est battre une douce.