Cédratier à fruit limoniforme.

Je vas dans ma besogne aussi franchement que Montaigne va dans la sienne, et si je m'égare, c'est en marchant d'un pas un peu plus ferme.
Voltaire - Lettre à Madame du Deffand (18 février 1760)

Mercredi.
En réponse à un amusant questionnaire, Ph. Billé déclare avoir pour projet de lire des extraits des Essais de Montaigne en français lisible. Tiens Montaigne, why not ! Devant me rendre au cabinet, j'attrape, sur la bibliothèque en face de la porte, un exemplaire des Essais, m'assieds et parcours l'ouvrage. Livre I, Chapitre 20.

Je veux qu'on agisse et qu'on allonge les offices de la vie tant qu'on peut ; et que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait.

Mais, on dirait la fin du Candide de Voltaire !

...si vous n'aviez pas été mis à l'inquisition, si vous n'aviez pas couru l'Amérique à pied, si vous n'aviez pas donné un bon coup d'épée au baron, si vous n'aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d'Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin.

Je consulte (l'auteur a ici procédé à une ellipse temporelle) les diverses éditions (Pléiade, deux Folio, Garnier, Classiques Larousse) que je possède : aucune mention de Montaigne. Et pourtant il me semble que tout y est.
- La référence au travail au travers du mot office dont le Dictionnaire historique de la langue française nous apprend qu'il résulte de la contraction de opificium (éxécution d'un travail, travail) et de opiflex (celui qui fait un travail), référence que l'on retrouve dans le discours de Pangloss à propos du jardin d'Eden, et dans la remarque de Martin : Travaillons sans raisonner, dit Martin, c'est le seul moyen de rendre la vie supportable. Sans raisonner pouvant être un écho du magnifique nonchalant d'elle.
- Le jardin qui bien qu'imparfait peut encore être cultivé, on peut y planter des choux et des cédratiers ; le jardin comme enclos, espace des imperfections et de la finitude mais le seul qui nous soit accessible.
Le refus de toute absolutisation.

Jeudi.
Relevé dans le Figaro Littéraire, à propos du Jésus de Nazareth de Joseph Ratzinger, cette remarque du philosophe catholique Jean Luc Marion.

Ce qu'ils (les pharisiens et de nombreux rabbins) ne pouvaient admettre c'est qu'il puisse être le Fils de Dieu. Il accomplit toute la révélation en disant : Je suis (...). Voilà qui est insupportable pour certains juifs et, d'une certaine manière, pour tout homme. Nous sommes tous convaincus que nous ne méritons pas que Dieu en fasse autant pour nous. Nous préférons qu'il reste rivé à sa transcendance et nous laisse vaquer à nos petites affaires.

Le refus de ce que Ratzinger appelle (feuilleté le livre et lu rapidement le premier chapitre à la Fnac, le prendrait chez Gibert) le dépassement de la limite de la condition humaine, dépassement inscrit dès la création puisque Dieu nous fit à son image.
Or il se trouve que ce refus, Voltaire l'assume sans pathos, à mille lieues de tout sentiment du tragique ou de l'absurde. Candide encore.

...quand sa hautesse envoie un vaisseau en Égypte, s'embarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont à leur aise ou non? Que faut-il donc faire? dit Pangloss. Te taire, dit le derviche.

Te taire et planter des choux.

Vendredi.
Howard "Only Angels have Wings" Hawks a-t-il lu le Candide de Voltaire ?