Aux participants du séminaire du 5 mai 2007.

En Guadeloupe, il n' y a pas que des BMW, des rocades embouteillées, des ingénieurs en dynamite commerciale, il y a aussi des anolis avec lesquels nous nous sommes, nous aussi, quelquefois amusés.

Je choisis une herbe flexible, très fine ; je tords un noeud coulant au bout, et, d'un regard leste, je parcourus le tronc d'un bignone. Les anolis y foisonnaient. J'en compte 6, d'une nodosité à fleur de terre aux premières branches du jeune arbre. Ils étaient d'un brun verdâtre, se chauffaient au soleil, les pattes, le ventre et la queue presque collés au tronc, leurs petits yeux piqués d'une étincelle.
J'approchai mon noeud coulant de la tête qui me parut la plus grosse, avec une lenteur calculée, et zest, j'avais un anoli. Le pauvre diable ! il agitait les pattes, jouait des reins, cherchait à s'échapper ; mais je le fis tournoyer et le lançai le plus loin que je pus. Il alla tomber dans la mare, comme une petite pierrre, et quelques gouttes d'eau jaillirent.
Léon Hennique - Les anolis.

Léon Hennique (1850-1935) n'a pas toujours fait les bons choix. Antidreyfusard lors de l'affaire, il vota contre l'attribution du Goncourt à Céline en 1932.
Fils de militaire, son père finira gouverneur de la Guyane française, il naît le 4 novembre 1850 à Basse-Terre au pied de la Soufrière. Il quittera les tropiques à l'age de 9 ans. Le 16 avril 1877, au cours d'un diner cordial et gai, il participe en compagnie de Huysmans, Céard, Paul Alexis, Mirbeau, Maupassant, Edmond de Goncourt et Flaubert à la fondation de l'école naturaliste. Il publiera en 1880 une nouvelle (L'affaire du grand 7), la meilleure avec celle de Maupassant, dans le recueil manifeste (Les soirées de Médan) de l'école. Ami d'Edmond de Goncourt, à la mort de celui-ci, il est désigné comme l'un de ses éxécuteurs testamentaires, et aussi comme l'un des tous premiers membres de l'Académie ; il apparaît dans le Journal comme une sorte de compagnon fidèle - Hennique avec sa gentilezza un peu féminine de créole - non avare de ragots à connotations sexuelles à propos de Maupassant par ex. En 1908, J. Renard, qui n'est pas à une vacherie près, à propos d'un déjeuner de l'Académie Goncourt écrira : C'est agréable si l'on met Rosny sur la science, Descaves sur la Commune, Mirbeau sur Bourget, Geffroy sur sa pièce L'Apprentie, et Hennique sur rien.
Comme on le voit pas grand chose, si ce n'est la faculté de faire affleurer, à son meilleur, sous des dehors un peu lisses, certaine félures et un goût pour le bizarre dont il faut, peut-être, rechercher l'origine à l'orée de la forêt tropicale.

Samedi 12 août 1893.
Hennique vient de son Laonnais, nous demander à Daudet et à moi, nos observations, nos critiques sur LES DEUX PATRIES.
Il reste coucher, et le soir, il nous parle de sa famille, de son père : son père, élevé au séminaire, et destiné à être prêtre, s'engageant dans l'infanterie de marine, devenant général, gouverneur de la Guyane et de la Guadeloupe, et mourant à trente ans de vie exotique. Sa mort était précédée de la mort de sa femme. Et l'auteur de PEUF se remémore quelques impressions de son enfance coloniale, entre autres, l'écoute, à l'orée d'une grande forêt, vers la tombée de la nuit, l'écoute de l'éveil de la forêt, où, de temps en temps, au-dessus de tous les bruits, s'élevait une grande lamentation d'animal, que toute la ville allait entendre: lamentation mystérieuse, et qu'on ne savait à quelle bête attribuer.
Goncourt - Journal.