Sa mère était mercière, son père était mercier, il naquit au Havre un vingt et un février mil neuf cent et trois, mourut à Paris un vingt cinq octobre mil neuf cent soixante et seize. Cela fera, dans vingt jours, très exactement trente ans.
Le mieux est de lui laisser la parole. On appréciera également les qualités d'interviouveur de Pierre Dumayet.

De Queneau à Sterne, il n'y a pas loin.
J'ai déja dit ce que je pense de la traduction de Guy Jouvet du Tristram Shandy. Mais voilà ti pas que les éditeurs de cette couillonade font paraître dans le Monde des livres (cf supplément PDF), sous un titre (Qui a peur de Tristram Shandy ?) destiné à faire frissonner à bon compte le lecteur du quotidien du soir, une tribune dans laquelle ils regrettent que le choix de l'Université (le livre de Sterne a été choisi pour figurer au programme de l'agrégation) se porte sur la traduction de Charles Mauron en date de mil neuf cent quarante et six.
Voilà ti pas donc que je me sens comme l'envie d'y revenir.
Je cite les auteurs du texte :
Mais il y a aussi les spectaculaires bévues du professeur (Mauron). Un seul exemple. Au volume III, chapitre XXXVI, on peut lire dans la traduction de Guy Jouvet : « Hé! je vous prie, qui était la jument de Tapequeue - Ah ! c'est bien là le genre de question aussi déshonorante, Monsieur, et qui trahit autant l'ignorance crasse de son auteur, que si vous demandiez en quelle année a éclaté la seconde guerre punique ! - Qui était la jument de Tapequeue ! - Mais lisez, lisez, lisez, lisez...»
Tout d'abord la version originale :
—And pray who was Tickletoby's mare?—'tis just as discreditable and unscholar-like a question, Sir, as to have asked what year (ab. urb. con.) the second Punic war broke out.—Who was Tickletoby's mare!—Read, read, read, read, my unlearned reader! read...
Puis la version de Mauron :
- Mais, je vous prie, qui était la jument de Tickletoby ?
- Volà une question, monsieur, qui donne une aussi fâcheuse opinion de votre culture classique que si vous demandiez en quelle année (ab. urb. con.) éclata la deuxième guerre punique. Qui était la jument de Tickletoby ? Lisez, lisez, lisez, lisez, mon ignorant lecteur, lisez...
Nos amis éditeurs s'offusquent que Mauron ne trouvent pas une équivalence à Tickletoby, faisant ainsi manquer une référence au Frère Tappecoue du Quart Livre de Rabelais. Outre que la traduction des noms propres est un problème récurrent à toute traduction (Mauron a choisi de ne pas les traduire), il convient de remarquer que :
1) je connais relativement peu de gens qui, sans un appareil critique, puissent établir une relation entre Tapequeue et Rabelais.
2) dans l'édition GF Flammarion dans laquelle on peut lire la traduction de Mauron, une note explicative due à un monsieur Serge Soupel est donnée ainsi que la référence sexuelle.
Nos amis éditeurs s'offusquent, mais que tis just as discreditable and unscholar-like a question soit traduit par Ah ! c'est bien là le genre de question aussi déshonorante, et qui trahit autant l'ignorance crasse de son auteur... ne semble pas les gêner. Alors que unscholar renvoie à celui qui n'a pas été un scholar, à celui qui n'a pas fait "d'études supérieures". Bref non pas à celui qui ne sait rien (ignorance crasse) mais à celui qui ne sait pas assez (aussi fâcheuse opinion de votre culture classique). Je ne sais pas si solution proposée par Mauron est la meilleure (sa traduction n'est pas sans défaut, et certaines des objections faites - notamment tout ce qui concerne la ponctuation - sont recevables) mais du moins ne pêche-t-elle pas par ce qui est le défaut majeur de Jouvet : la sur-traduction.
Much Ado About Nothing. Certes. Mais je ne peux m'empêcher de voir dans cette tribune comme un symptôme, celui d'une certaine forme de gesticulation. Pendant des décennies, notre Université s'est ingéniée à dégoûter des générations d'étudiants de Sterne et et de Tristram Shandy (ah bon !) nous disent les auteurs qui de facto se placent dans le camp du bien, de l'esprit rebellle (s'attaquer à l'université en 2006, vu l'état dans lequel elle est, y faut l'faire) alors qu'il s'agit ici ni plus moins que de masquer une déconvenue commerciale et financière sous une posture de martyr.