J'aime bien Léon Bloy. J'aime bien aussi Félix Fénéon.
Difficile de savoir si Fénéon aimait Bloy [1], du moins lui trouvait-il un certain talent : mineur selon lui mais néanmoins réel.

Certes l'éloquence ne s'accomode ni d'analyse, ni de nuances : elle se constitue de l'énonciation d'idées immédiatement perceptibles, présentées sous un seul aspect, harnachées de mots tonnants et rythmées comme une batterie de tambour. Mais dans ce genre inférieur, Léon Bloy est incomparable : il y a l'organisation d'un harangueur de multitudes. (...) Les seuls prophètes juifs ont parfois vomi des injures d'un si impérieux jet.Toutefois Leon Bloy reste inférieur à Ezéchiel : celui-ci ne se contentait pas de mettre des déjections dans ses invectives, - il en étendait sur son pain.
F.Fénéon - Un pamphlétaire catholique - mars 1887.

Mais j'ai toutefois l'impression, qu'à la longue il finit par être quelque peu agacé par les imprécations du vieux de la montagne. Ainsi, à propos de Sueur de sang, on peut lire, sous la plume de Fénéon, dans La Revue Anarchiste du 15 novembre 1893 (je cite in extenso, Fénéon avait l'art de la critique ramassée):

Il assomme d'un même gourdin et d'une furie égale une mouche ou un mammouth ; il entasse les mots volumineux sur des idées qui auraient bien besoin d'air et de soins ; et quand il prophétise sur grosse caisse on éprouve quelque malaise à voir un homme corpulent s'agiter si fort. Comme une marque de sa richesse de pensée, ceci, - extrait du préambule de son nouveau livre :« La France est tellement le premier des peuples que tous les autres, quels qu'ils soient, doivent s'estimer honorablement partagés lorsqu'ils sont admis à manger le pain de ses chiens. Quand elle est heureuse, le reste du monde est suffisamment heureux, dût-il payer ce bonheur de la servitude et de l'extermination. Mais quand elle souffre, c'est Dieu qui souffre, c'est le Dieu terrible qui agonise pour toute la terre en suant le sang. Ceci est absolu et incommutable, comme le mystère de la Prédestination.» - Ceci ne serait-il pas, plutôt, un peu niais ?

Au fait, toute ressemblance avec des personnes existantes...etc etc

[1] En juin 1903, voulant proposer un article à La Revue Blanche dont Fénéon est le directeur, Bloy écrit à ce dernier :
...Je ne sais pas vos sentiments à mon égard. Consentiriez-vous à publier une étude critique de moi sur Huysmans ?