La lecture de Zabrana m'incite à rouvrir Pasternak. La lecture d'un blog me pousse à faire de nouveau un tour du coté de Nabokov.
Si Nabokov appréciait la poésie de Pasternak - il fut même question qu'il participe à la traduction des poèmes que l'on trouve à la fin de Jivago - il n'aimait pas le roman de celui-ci. Le docteur Jivago est une pitoyable affaire, maladroite, éculée, et mélodramatique, pleine de situations consacrées, d'avocats voluptueux, de filles improbables, de voleurs romantiques et de coïncidences banales.(1)
Longtemps j'ai cru, au nom de je ne sais quelle absurde politique, que l'on ne pouvait aimer tel auteur parce que tel autre, celui pour lequel on affichait ses préférences, le détestait. Cohérence était mon grand mot. Ainsi, sachant ce que Nabokov pensait de Pasternak, je me suis interdit - entre autres raisons - de lire ce dernier pendant de nombreuses années. Je dois avouer qu'après avoir lu un avis favorable de VN sur Robbe-Grillet, et m'être précipité sur un ouvrage de l'ingénieur agronome, bien mal m'en pris. Mais je mis cela sur le caractère facétieux du russe et lui pardonnai.
Le temps passant, je compris que si un écrivain peut écrire contre un autre, si cette attitude est peut-être nécessaire à la constitution de son oeuvre, c'est là, à proprement parler, son affaire. Et que cette affaire n'est point celle de son lecteur ; que ce dernier n'ayant finalement rien à prouver, sa liberté, celle de son plaisir, était de facto supérieure à celle de celui qu'il s'était donné pour maître.

Un parc silencieux vous entourait. Des corneilles se perchaient sur les branches inclinées des sapins et secouaient le givre. On entendait se répercuter au loin leur croassement, crépitant comme le craquement d'une branche sèche. Des chiens de race traversaient la route à partir des bâtiments neufs qui se dressaient à l'autre bout de la percée. Là-bas, des lumières s'allumaient. Le soir tombait.
Brusquement, tout cela s'était envolé. Ils étaient devenus pauvres.
Boris Pasternak - Le docteur Jivago.

Des corneilles....envolé... Je sais déja que les Nabokoviens me rétorqueront, et peut-être auront-ils raison, que ce que j'apprécie le plus dans Jivago ce sont ces échos en provenance d'autres rivages. Mais faut-il encore vouloir les entendre.

(1) in Brian Boyd - Vladimir Nabokov, 2. Les années américaines - Biographies, Gallimard.