J'aimais éperdument la comtesse de *** ; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes.(Point de lendemain - Vivant Denon)

François Bégaudeau est un garçon dans le vent. François Bégaudeau est critique de cinéma aux Cahiers et romancier. François Bégaudeau a des papiers favorables dans Le Monde, Les Inrocks, le Nouvel Observateur... François Bégaudeau passe sur Canal+. François Bégaudeau est également professeur de français. Sur Canal+, François Bégaudeau a déclaré qu'il ne voyait pas l'intérêt d'enseigner l'usage du passé simple et du point virgule. D'autant que personne ne parle au passé simple, que, pour preuve, son roman est entièrement écrit au passé composé, que ce sont là les derniers vestiges d'une culture bourgeoise discriminante. Une imbécile qui se trouvait à ses cotés s'exclama : "Mais vous devez être un dieu pour vos élèves!". François Bégaudeau admit avoir traité une de ses élèves de pétasse; il y voit le signe paradoxal du rapport d'égalité qu'il a su instituer, puisque en contre-partie il consent aisément à se faire charrier...Le dernier livre de François Bégaudeau s'intitule Entre les murs (1). La quatrième de couverture indique que l'ouvrage s'inspire de l'ordinaire tragi-comique d'un professeur de français, que l'auteur a pour projet de documenter la quotidienneté laborieuse. Pour faire plus simple, je dirais que c'est du Jean-Charles qui aurait lu Bourdieu. François Bégaudeau est un moderne.

Jean Dutourd est un con. Jean Dutourd est un vieux con. Jean Dutourd est un vieux con de droite. Jean Dutourd ne passe pas sur Canal+. Jean Dutourd participe (participait?) aux Grosses Têtes sur RTL. On ne trouve aucun livre de Jean Dutourd à la Fnac. Il se trouve que, peu après avoir écouté François Bégaudeau, j'ai acquis à la brocante - celle où l'on donne ce que l'on veut - Contre les dégouts de la vie (1) de Dutourd. Il s'agit d'un recueil de chroniques - une page et demi, deux maximum - sur des auteurs aussi divers que Maupassant, Svevo, Wilde, Chesterton, Laforgue, ou Gustave le Rouge. J'en oublie. A propos de Souvenirs de deux existences de Giraudoux, il écrit : C'est un carnet de croquis très légers, à peine crayonnés; mais le trait est si souple et si juste qu'on a le sentiment, toujours, de se trouver devant les esquisses d'un maître, lesquelles en disent à coup sûr bien davantage que de vastes tableaux léchés. On ne saurait mieux définir Contre les dégouts de la vie. Dutourd croit en la vérité du style : la littérature ne trompe pas sur le caractère d'un homme. On peut mentir en parlant, c'est impossible quand on écrit. Je veux dire que, même si l'on énonce des choses délibérément inexactes, il y a dans le style une vérité de l'être aussi incontestable que la couleur des yeux ou la longueur du nez. Il faudrait quasiment tout citer. Trois exemples presqu'au hasard.

Sur Maupassant.

Maupassant réussit dans tous les genres mais inégalement (...). Ce qui frappe particulièrement c'est son absence de style (...). Stendhal disait de Mérimée "Il ne touche que huit notes de son piano" (...). Maupassant n'en touche que quatre et elles sont parfois fausses.

Sur Mérimée.

Mérimée démontre une chose étonnante : que la langue française poussée au dernier point de la simplicité et de la clarté est un masque. Paradoxe qui m'a fait comprendre pourquoi Mérimée était l'un des rares auteurs français ayant réussi dans le fantastique.

Sur Chesterton et la série des Father Brown.

Le père Brown croit en l'impossible; il ne croit pas en l'improbable. En une phrase tout est dit.

Au détour d'une page, on apprend que Dutourd aime Jean-Paul de Dadelsen, Armen Lubin, et Henri Thomas ; on s'en étonnerait presque puisque Jean Dutourd est un abruti.
Dans Carmen de Mérimée, Dutourd relève une phrase qui, pour lui est une merveille de style français; elle joint, nous dit-il, la perfection au mouvement.

Elle mit sa mantille devant son nez, et nous voilà dans la rue sans savoir où j'allais.

Subtils passages du passé au présent, du pluriel au singulier.
Comme quoi le passé simple ce n'est pas si con que ça !

(1) Editions Verticales, 2006.
(2) Flammarion, 1986.