J'ai abandonné Shutter Island, roman policier de Dennis Lehane acheté la semaine dernière, au bout de la moitié du livre. Et suis passé directement aux dernières pages pour vérifier si j'avais vu juste.
Une des raisons pour lesquelles je n'arrive plus à lire les romans dits policiers et encore moins la science-fiction, c'est que j'ai l'impression qu'il y a facilement environ 250 pages de trop. Que tout cela, dénouement final compris, pourrait facilement tenir sur quelques lignes. Que le résumé que l'on pourrait en faire est toujours meilleur que le livre lui-même. Que le roman étouffe sous sa propre graisse romanesque.

Une des raisons pour lesquelles j'aime les journaux littéraires, correspondances et autres mémoires c'est qu'on y trouve assez souvent, à l'état d'esquisses, des déclencheurs, ce qu'il me semble Borges appellera plus tard ficciones.
Dans Les mémoires de la Comtesse de Boigne(1) (Du règne de Louis XVI à 1848) on peut lire, par exemple, le portrait de la princesse Serge Galitzin. Quinze lignes.
Jolie, piquante, bizarre la princesse tombe amoureuse d'un homme dont elle n'a vu que le portrait sur un médaillon trouvé dans on ne sait quel vieux chateau. Elle ne quitte plus le médaillon, et repousse le mari qu'on lui avait donné parce qu'il n'y ressemblait pas. Elle part, voyage à la recherche de l'original du portrait que, bien entendu elle ne trouvera jamais. Là où la chose devient intéressante c'est que chemin faisant, elle s'est fréquemment contentée de ressemblances partielles à ce type imaginaire et que, trouvant tantôt les yeux, tantôt la bouche ou le nez de son sylphe, ellle a été contrainte à diviser sa passion entre nombreuse compagnie.
Une infinité d'amants au nom d'un amour unique. Un amour unique composé d'une infinité d'amants...
Quinze lignes où toutes les explications - fantastiques, érotiques, psychologiques - sont alors possibles; quinze lignes où la fiction ne demande qu'à se dire...

(1) Le Temps retrouvé - Mercure de France.