Mardi 12 avril 2005.
Au moment de créer ce blog, je ne parvenais pas à décider au juste dans laquelle des catégories proposées je devais l'inscrire. J'hésitais d'abord entre les formules "Littérature et poésie" et "Journal intime", qui correspondaient un peu, mais de trop loin, à ma sensibilité et à mes activités. Finalement j'ai opté pour "Santé et beauté", qui me convient assez.
Philippe Billé

Je ne connais pas Philippe Billé et mes seules informations le concernant proviennent de Google. Philippe Billé est traducteur de Nicolas Gomez Davila entre autres, semble avoir été adepte du mail art, et a dressé dans le cadre de ses travaux universitaires, je cite et souligne, un inventaire précis de la faune brésilienne à l’époque des grandes découvertes.
Philippe Billé tient également un blog que je lis régulièrement ; aussi quand il proposa la transcription des années 2004-2005 dudit blog sur un fichier informatique, permettant ainsi de le lire dans l'ordre chronologique, et éventuellement de l'imprimer, je lui en fis la demande.
Ayant procédé à l'impression du fichier (environ 70 pages), je me retrouvais face un objet fini, clos, ce qui eut pour effet de me donner l'envie d'en faire un compte rendu.
Ce qui frappe chez Billé c'est l'extrême attention apportée aux choses, cette capacité à tendre son esprit vers avec pour conséquence une recherche constante de la précision tant dans les faits - Entendu ma première grive musicienne de l'année, sur le parking d'Intermarché à Talence - que dans les mots - Elle (la grive) saisit un escargot qu'elle va casser sur les dalles et le déchire en saccades - ou encore - Chaque fois que je nettoie le sol au pied des arbustes, dans mon jardin de La Croix, je ramasse des cailloux qui n'apparaissaient pas quelques semaines plus tôt, ou seulement quelques jours, et j'ai l'impression que la terre, lassée de les mâcher depuis l'éternité, vient enfin de les recracher.. On n'est d'ailleurs pas loin du style d'un Jules Renard, dans une certaine mise à distance entre l'observateur et la chose observée. Si Billé nous dit aimer la formule selon laquelle la traduction est aussi une forme de contemplation, il avoue aussi compter parmi mes jouets favoris, depuis des années, l'atlas routier Michelin de la France, au 1/200.000, et les cartes topographiques de l'IGN, au 1/25.000. Un centimètre égale deux kilomètres sur le premier, 250 mètres sur les secondes, qui sont donc huit fois plus précises. Ajoutant : Ce serait bien, me dis-je parfois, si l'on pouvait disposer de ces cartes de l'IGN sous forme de livres, comme l'atlas Michelin. Le rapport des échelles étant de 1 à 8, huit volumes suffiraient à l'ouvrage, pensais-je d'abord. Mais à la réflexion je soupçonne que ce chiffre n'est valable que dans une direction, et que pour obtenir le rapport de surface, il conviendrait de multiplier la longueur par la largeur. Il faudrait alors 8 fois 8 = 64 volumes.
C'est dans cet entre-deux, entre contemplation - pas de trace de lyrisme dans ce journal - et objectivité (Beauté et santé), les deux bornes étant exclues de l'intervalle, que se situe Billé. D'où un recours constant à l'humour - les aventures de l'auteur et de ses poules valent leur sac de Purina - et à l'ironie. Je ne sais pas si quelqu'un est payé pour allumer les lumières le matin à la fac, mais il semble que personne ne le soit pour les éteindre à l'heure où elles sont devenues inutiles. Depuis quelque trente ans que je fréquente les lieux, comme étudiant, visiteur et employé, combien de milliers de fois ai-je éteint en passant les lampes qui brûlaient sans raison dans les salles et les couloirs, parfois inondés de soleil? C'est incalculable. Telle aura été une de mes fonctions sociales les plus assidues, celle d'un extincteur bénévole anonyme. On fait ce qu'on peut
On comprend dès lors son intérêt - non exclusif, le journal bruisse également de son amour pour les oiseaux, la Charente, les églises et le catholicisme - pour les journaux littéraires (de longs developpements sont consacrés aux journaux de Michel Ciry, et à Jacques d’Arribehaude). A la question de savoir si ceux ci doivent privilégier l'intime le bas détail ou être constitués principalement de notes de lecture et de réflexions politiques, Billé qui n'a pas l'esprit de sytème répond par un : Tout dépend, je crois, de l'homme et du ton.
Intéressant également ce qui semble avoir été l'itinéraire politique de Billé. Du gauchisme des années 70, Billé semble avoir évolué vers ce que l'on nommera le conservatisme - Peut-être qu'il en sera toujours ainsi, par nécessité: la "droite" comme éternel conservatoire des problèmes à résoudre, la "gauche" comme éternel ministère des remèdes pires que le mal - d'où les ruptures avec les amis passés : C'est vrai que certaines de tes positions vis-à-vis de l'extrême droite ne sont pas partagées par mes proches et moi-même me suis senti un peu heurté par tes convictions et tes propos réguliers sur le sujet. Au-delà de la position de Billé sur tel ou tel sujet, ce à quoi j'ai été sensible, parce que cette itinéraire est aussi le mien, c'est l'horreur qu'il a d'une certaine arrogance où se cotoient la foi dans des lois objectives de l'histoire - nous sommes du coté du bien puisque du coté de l'histoire - et l'activisme subjectif du militant et ce malgré les démentis de l'Histoire. Au grandiose Faire de l'homme ce que nous voulons qu'il soit de Saint-Just, Billé oppose le prosaïque : Parmi le courrier une lettre de Bruno Richard, qui accable de critiques le dernier numéro de ma revue. Il me fait chier, il ne m'aime plus. Au lieu de me dire des méchancetés, qu'il secoue donc sa graisse de vieille feignasse et vienne me retrouver ici, on se boufferait gentiment le nez au coin du feu, peinards, entre ratés de bonne compagnie.
Dans une de ses premières nouvelles Mon ami Bingham, Henry James (c'est ma période James !), auteur dont je suis persuadé qu'il ennuie Billé au plus profond mais il se peut que je me trompe, décrit le dénommé Bingham de la manière suivante : Ces caractéristiques donnaient à sa conversation un charme qui s'expliquait par la stricte indifférence à leur effet et par son peu de disposition à en user pour la galerie.
Voila qui ma foi résume assez bien les charmes du Journal de Philippe Billé