Mademoiselle, la Grande Mademoiselle qu'on appelait pour la distinguer de la fille de Monsieur, ou, pour l'appeler par son nom, Mlle de Montpensier, fille ainée de Gaston (frère de Louis XIII), et seule de son premier mariage, mourut en son palais de Luxembourg le dimanche 5 avril après une longue maladie de rétention d'urine, à soixante-trois ans, la plus riche princesse particulière de l'Europe.(...)
Sa pompe funèbre se fit en entier, et son corps fut gardé plusieurs jours, alternativement par deux heures, par une duchesse ou une princesse et par deux dames de qualité, toutes en mantes, averties de la part du Roi par le grand maître des cérémonies ; à la différence des filles de France qui en ont le double, ainsi que d'évêques en rocher et camail, et des princesses du sang qui ne sont gardées que par leurs domestiques. La comtesse de Soissons refusa d'y aller : le Roi se fâcha, la menaça de la chasser et la fit obéir. Il y arriva une aventure fort ridicule. Au milieu de la journée et toute la cérémonie présente, l'urne qui était sur une crédence et qui contenait les entrailles se fracassa avec un bruit épouvantable et une puanteur subite et intolérable. A l'instant voilà les dames les unes pamées d'effroi, les autres en fuite. Les hérauts d'armes, les feuillants qui psalmodiaient, s'étouffaient aux portes avec la foule qui gagnait au pied. La confusion fut extrême. La plupart gagnèrent le jardin et les cours. C'étaient les entrailles mal embaumées qui par leur fermentation avaient causé ce fracas. Tout fut parfumé et rétabli, et cette frayeur servit de risée. Ces entrailles furent portées aux Célestins, le coeur au Val-de-Grâce et le corps conduit à Saint-Denis par la duchesse de Chartres suivie de la duchesse de la Ferté...
Saint-Simon

Trainant avec un ami, parmi les rayonnages de Gibert Joseph libraire à Paris, celui me faisait remarquer, avec ce que j'ai cru percevoir comme de l'ironie, que je ne m'intéressais qu'à la littérature du 18ème. Ce long extrait de Saint-Simon, quoique celui écrivant ses mémoires entre 1739 et 1750 fut, en fait, profondément un homme du 17ème, constitue en quelque sorte ma réponse.
M'intéresse en littérature et ailleurs, au delà des catégories temporelles, la lucidité. Saint-Simon bien que viscéralement attaché au protocole, à la hiérachie des titres, n'en est pas dupe. Il sait que derrière tout celà se cachent les entrailles et la puanteur, mais cette lucidité, et c'est là toute sa force, ne débouche sur aucun nihilisme: Tout fut parfumé et rétabli, et cette frayeur servit de risée. Le cours des choses doit reprendre, l'ordre retrouvé ses droits. Ne pas être dupe (Mme du Deffand ou le drame de la lucidité disait Cioran) et savoir que malgré tout il convient de faire, même semblant; et peut-on, à moins de tirer un trait définitif, en dernier ressort faire autrement - voilà d'ailleurs qui pourrait être une assez bonne définition du style (on appréciera, ici, la précision, le cinglant de celui du duc - telle est pour moi la grande leçon, pour répondre donc à mon ami, que je tire d'auteurs comme Saint-Simon, Retz ou le cardinal de Bernis pour ne citer qu'eux.