1) Lisant ceci:

Le boucher Zheng, son couteau dans la main droite, se pécipita sur Lu Da, qu'il tenta d'agripper par la main gauche; mais Lu Da profita de l'occasion pour lui bloquer aussitôt la main gauche, puis fonça sur lui et lui décocha un coup de pied - un seul - dans l'abdomen : le boucher vola à la renverse et alla choir au milieu de la rue.(...)
Alors, d'un seul coup de son poing fomidable, il lui écrasa le nez; le sang jaillit aussitôt à flots, tandis que le nez restait de guingois.(...)
Il (Lu Da) leva son poing et lui assena sur le bord de l'arcade sourcilière; ce seul coup suffit à faire éclater les orbites et saillir les pupilles!

extrait de Au bord de l'eau (roman chinois de XIVème siècle), j'ai immanquablement pensé aux scènes de bagarre chez J.Ford, R.Walsh et à celle, l'une des plus belles, de They Live de J.Carpenter.
Et là, suite à un débat, courant ici et la, sur les faiblesses du cinéma français, je me suis dit qu'il était peut-être là le problème : dans cette incapacité à filmer frontalement deux corps qui se foutent des beignes.

2) Ceci dit, essayons d'aller un petit peu plus loin.
Qu'est ce qu'une bagarre dans le cinéma américain? On pourrait la définir comme la confrontation, parfois rude, de deux libertés. Fidéle à une tradition, dont l'origine remonte à Locke, l'homme[1], en tant qu'il n'est pas esclave, est défini comme n'appartenant qu'à lui même. Dans la bagarre aucune volonté d'asservissement de l'adversaire (figure classique où les deux protagonistes tombent tous deux d'épuisement), juste la négociation musclée d'un contrat ; contrat, par essence, juste puisque fondé sur le libre consentement des deux parties.
En commentaire, S évoque les gifles de Gabin, les camouflets de Ventura, les claquettes de Belmondo et les calottes de Delon.et il semble que l'on touche là un point important. Que cherche à faire Gabin ou Ventura en claquant leurs adversaires, en ne les étreignant pas, essentiellement à les humilier, à porter atteinte à leur dignité. Ici, prime une vision de l'homme qui court de Rousseau à Bourdieu, où les rapports humains sont vus à travers le prisme de la relation dominant/dominé. Le claqué, à l'inverse des participants de la bagarre américaine, n'est pas un homme libre puisqu'il à perdu sa dignité. Le contrat est par essence injuste, et devra être régulé par une instance supérieure : le metteur en scène.
D'ou, selon nous, cette fameuse impossibilité d'un point de vue extérieur et frontal

Ps : Le cinéma américain n'est pas un cinéma populaire, dans la mesure où la notion même de populaire lui est étrangère, dans la mesure où il estime n'avoir aucune plus-value à apporter au peuple, dans la mesure où celui ci est constitué d'hommes libres.

[1] Spéciale dédicace à une lectrice(?) Anodine : Quand je dis l'homme, j'embrasse toutes les femmes. (Sacha Guitry)