Les Français, à en croire Talleyrand, firent la révolution par vanité. On pourrait dire autant des autres évènements de l'histoire de France. Que tous les peuples soient vaniteux, on n'en disconviendra pas, les Français pourtant plus que le reste; et ce défaut est si ancré en eux, qu'il en devient, sinon une qualité, en tout cas un ressort qui les incite à produire et à agir, à briller surtout; d'ou l'esprit, parade de l'intelligence, souci de l'emporter sur autrui coûte que coûte, d'avoir infailliblement le dernier mot. Mais si la vanité aiguise les facultés, détourne du lieu comun et combat l'indolence, elle fait en revanche de quiconque un blessé, un écorché; aussi par les souffrances qu'elle leur inflige, les Français ont-ils payé pour toutes les chances dont ils ont si abondemment joui. Pendant mille ans, l'histoire a tourné autour d'eux: pareille aubaine s'expie; leur châtiment a été et demeure l'irritation d'un amour-propre toujours mécontent, toujours inapaisé. Quand ils étaient puissants, ils se plaignaient de l'être pas assez; ils se plaignent maintenant de ne l'être plus du tout. Tel est le drame d'une nation gatée, ulcérée dans la prospérité non moins que dans l'infortune, avide et changeante, trop favorisée par le sort pour connaître la modestie, ou la résignation, impropre à garder la mesure tant devant l'inévitable que l'inespéré.
Cioran - Introduction à l'Anthologie des portraits.