Je viens de lire dans un journal une petite histoire bien touchante, tellement touchante que je ne crois pas qu'il puisse en exister d'aussi touchante.

C'est celle d'un petit garçon qui était toujours malade. Sa pauvre mère venait s'asseoir à son chevet. Elle ne lui lisait pas d'histoires, car elle ne savait pas lire, mais lui en racontait de merveilleuses. Et, tout en parlant, elle pouvait ainsi ourler des draps et raccommoder des chaussettes. Souvent, la pauvre mère s'interrompait pour cacher une larme. Parfois, quand le petit garçon souffrait trop, elle était obligée de se lever pour aller étouffer un soupir dans la cuisine. Le petit garçon avait des frères et des sœurs. Quelques-uns étaient ses aînés, mais, parce qu'il était malade, tous le considéraient avec respect. Ils venaient souvent jouer avec lui, mais sans faire de bruit et jamais plus de deux à la fois pour ne pas le fatiguer. Et le soir, quand le vieux père rentrait de son travail, il venait embrasser tendrement son petit garçon, et l'on voyait de grosses larmes rouler sur la barbe grise du vieillard.

A ce point-là de l'histoire, je pleurais tellement que ma gouvernante s'approcha et me demanda si mon chagrin n'était pas dû au souvenir de ma petite chienne Mirza, écrasée récemment par un aéroplane. Je lui répondis que j'avais depuis longtemps oublié ma petite chienne et que d'ailleurs j'étais prêt à tous les sacrifices, lorsqu'il s'agissait du développement de l'aviation. Puis je lui fis lire le commencement de cette histoire bien touchante, et nous la continuâmes ensemble, ma gouvernante et moi, mêlant nos larmes et nous étreignant les mains.

Nous pleurions si fort à ce moment-là, ma gouvernante et moi, que nous n'avions pas entendu la blanchisseuse qui venait d'entrer, rapportant le linge. Je lui fis lire le commencement de cette histoire bien touchante, et nous la continuâmes ensemble, ma gouvernante, la blanchisseuse et moi, mêlant nos larmes et nous étreignant les mains.

Parfois, un jeune fils de famille venait rendre visite au pauvre petit garçon. Il n'était pas fier du tout, quoique fabuleusement riche, et lui apportait toujours ses vieux jouets. Puis le fils de famille lui parlait de l'école, lui racontait ses visites avec sa mère et ses promenades à bicyclette. Les yeux du petit garçon brillaient d'envie en écoutant toutes ces choses, mais jamais il ne fut jaloux du fils de famille, sachant que c'est très vilain d'être jaloux. Le fils de famille jouait aussi dans la chambre avec les frères et les sœurs du petit garçon. Celui-ci était bien triste de ne pouvoir se joindre à eux. Il les regardait en pensant au ciel et à la bicyclette et se disait qu'il serait bien heureux de pouvoir en faire autant. Souvent il avait les yeux pleins de larmes. Et quand ils étaient partis, il demandait à sa mère, en frappant sa petite poitrine maigre de son bras décharné : « Maman, pourquoi donc je ne suis pas comme les autres? Je n'ai pourtant rien fait de mal ? »

Nos larmes coulaient en telle abondance que nous fûmes surpris de voir devant nous le facteur. Je lui fis lire le commencement de cette histoire bien touchante, et nous la continuâmes ensemble, ma gouvernante, la blanchisseuse, le facteur et moi, mêlant nos larmes et nous étreignant les mains.

Un jour, le petit garçon devint plus malade. Ses forces l'avaient tout à fait abandonné. Il pouvait à peine se retourner dans son lit. Le bon curé résolut de lui faire faire sa première communion. Il n'avait que neuf ans et demi, il était très sage et très raisonnable. Et puis, il était plus vieux que beaucoup d'autres, se trouvant si prés de la mort.

Nos sanglots éclatèrent si fort que la concierge et tous les locataires de la maison vinrent nous demander si l'on n'avait pas augmenté sensiblement les impôts. Je leur répondis qu'une telle mesure n'avait rien qui puisse me déplaire, car je ne demande qu'à contribuer plus encore à la prospérité de la République. Puis, je leur fis lire le commencement de cette histoire bien touchante, et nous la continuâmes ensemble, ma gouvernante, la blanchisseuse, le facteur, la concierge, les locataires de la maison et moi, mêlant nos larmes et nous étreignant les mains.

Le lendemain, le petit garçon fut tout à fait mal. Son vieux père le veilla toute la nuit. Le médecin n'avait plus d'espoir. Une bonne voisine s'efforçait de consoler la pauvre mère dont la douleur faisait peine à voir. Les frères et les sœurs du petit garçon entraient dans sa chambre sur la pointe des pieds. Enfin, le petit garçon s'endormit.

Les hoquets convulsifs qui nous déchiraient produisaient un tel vacarme que le commissaire de police du quartier et deux agents vinrent nous prier de cesser, car les vingt mille personnes rassemblées sous les fenêtres empêchaient la circulation des tramways dans la rue. Je leur répondis que les tramways n'avaient qu'à passer par la rue voisine. Puis je leur fis lire le commencement de cette histoire bien touchante, et nous la continuâmes ensemble, ma gouvernante, la blanchisseuse, le facteur, le concierge, les locataires de la maison, le commissaire de police du quartier, les deux agents et moi, mêlant nos larmes et nous étreignant les mains.

Si le petit garçon était mort, nous n'aurions plus su où mettre nos larmes. Mais le petit garçon ne mourut pas, car une bonne dame charitable lui apporta une boite de pilules miraculeuses, qui le soulagèrent bientôt et le rétablirent ensuite. Au bout de huit jours, il était radicalement guéri.

Et cette histoire bien touchante, qui se trouvait placée à la cinquième page du journal, finissait en donnant le nom des pilules, l'adresse du fabricant et le prix de la boîte de cinquante expédiée franco.

Edouard Osmont in Le Figaro de la jeunesse, Supplément gratuit pour les abonnés du Figaro quotidien, 22 septembre 1910.