C'est avec réticence que je me suis rendu à la grande rétrospective Monet.
L'idée d'aller voir des paysages au kilomètre, des coquelicots à foison, des meules de foin en suivant des rombières extatiques me rebutait. Et pourtant...
Je n'essaierai pas ici de rendre compte de façon exhaustive d'une exposition présentant près de 160 tableaux, je n'en ai pas la compétence, mais m'attacherai à quelques impressions fugitives et forcément subjectives.
Monet n'est pas le peintre de la figure humaine. Les petits personnages dans les premières œuvres sont assez maladroits et les grands portraits ne soutiennent pas la comparaison avec un Manet par ex. Faut-il y voir sa prédilection pour les paysages ? je ne sais. Toujours est-il que ceux-ci se donnent à voir dans une sorte d'immédiateté, dans un instant, et semblent évacuer cette question de la figure humaine et ne semblent ne pas même se la poser.
il ne s'agit pas ici, comme l'écrit Merleau-Ponty à propos de Cézanne, de donner l'impression de la nature à son origine telle qu'elle allait se donner à voir dans sa concrétude à l'homme au premier matin du monde mais par le jeu la représentation des sensations de figurer un monde où l'homme est spectateur. Si l'homme n'est pas présent (du moins dans les paysages) dans la peinture de Monet, il ne peint cependant pas son absence.
Et pourtant.



Ce tableau (La pie, entre 1868 et 1869), bien connu, me semble être l'un des plus beaux de l'exposition en ce que justement ici, par la présence animale décadrée sur la gauche, décadrage compensé par la masse de la maison sur la droite dont on ne prend conscience que dans un deuxième temps, par le jeu de la blancheur et des ombres, en ce que donc Monet figure l'absence humaine ou plus subtilement représente une présence en creux. La figure humaine n'est pas évacuée, elle est absente. Une présence absente.



Certaines toiles, les plus belles, notamment celles peintes lors de séjours normands, semblent correspondre au programme cézannien tel qu'il est décrit de façon magistrale par Merleau-Ponty dans L'œil et l'esprit.
Il ne veut pas séparer les choses fixes qui apparaissent sous nôtre regard et leur manière fuyante d'apparaître, il veut peindre la matière en train de se donner forme, l'ordre naissant par une organisation spontanée (...) le monde primordial.
Sous le fugitif, la matière des choses.



En 1879, Camille Monet, sa première épouse, meurt. Monet la représente sur son lit de mort. Comment rendre compte du surgissement d'un tel évènement ? évènement qui repose la question de la figure humaine. La réponse de Monet est paradoxale. Il ne réduit pas l'événement à l'instant, instant, moment clos, qui serait éternisé mais choisit de peindre son effacement. L'Être ne se réduit pas à l'instant magré la mort mais s'inscrit à tout jamais sous le regard de Monet, dans l'advenir et le passage. Comme le spectre s'effaçant d'un fantôme effacé...(M.Renard, Le docteur Lerne)



A l'effacement de Camille fait peut-être écho l'effacement du sujet tel qu'on peut le voir dans la série du Parlement de Londres (1904). Certains y voient comme l'annonce de l'abstraction. Je ne le crois pas, peut-être à tort. J'y verrai plutôt l'effacement de Monet, sa lente disparition avec pour horizon, comme une dernière trace inscrite dans l'éternité, la peinture elle-même.