Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mardi 12 janvier 2010

Addendum à la note précédente.

Mais les esprits essentiellement critiques et moralistes n'ont le plus souvent besoin ni de grands mécomptes ni de désabusements directs pour arriver à leur plein exercice et à leur entier développement; ils sont moralistes en un clin d'œil, par instinct, par faculté décidée, non par lassitude ni par retour.
Le moraliste, à proprement parler, a une faculté et un goût d'observer les choses et les caractères, de les prendre n'importe par quel bout selon qu'ils se présentent, et de les pénétrer, de les approfondir.pour lui pas de théorie générale,de système ni de méthode; la curiosité pratique le dirige (...) Son amusement, sa création , c'est de regarder autour de lui, au hasard et de noter le vrai sous une forme concise et piquante (...) On assiste à la représentation d'une pièce de théatre (...) Quand au lien général et aux lois métaphysiques, il ne s'y aventure pas; il est plus de tact que de doctrine, particulièrement occupé de l'homme civilisé, de l'accident social, et il s'en tient dans ses énoncés à quelques rapprochements pour lui manifestes, sûr, après tout, que les choses justes ne se peuvent jamais contrarier entre elles.
Sainte-Beuve.

Il y a dans la définition que donne Sainte-Beuve du moraliste directement inspirée de Montaigne,

Nostre vie, disoit Pythagoras, retire à la grande et populeuse assemblee des jeux Olympiques. Les uns exercent le corps, pour en acquerir la gloire des jeux : d'autres y portent des marchandises à vendre, pour le gain. Il en est (et qui ne sont pas les pires) lesquels n'y cherchent autre fruict, que de regarder comment et pourquoy chasque chose se faict : et estre spectateurs de la vie des autres hommes, pour en juger et reigler la leur.

celle du moraliste comme spectateur de la vie (la référence au théatre est aussi pertinente) ce par quoi on pourrait caractériser le cinéma de Rohmer. A la nuance près que Rohmer est un moderne et qu'il sait que tout art est reconstruction. Il suffit de rappeler que son maître ouvrage à pour titre L'organisation de l'espace dans le Faust de Murnau, et qu'il y développe sa théorie des trois espaces (espace pictural, espace architectural, espace filmique).
Il n'en reste pas moins que Rohmer ne propose guère de solutions et qu'il donne à voir des oscillations dont les mouvements ne modifient que légèrement l'ordre des choses.
Si le moraliste selon Sainte Beuve ne s'aventure pas sur le terrain de la métaphysique (le spiritualisme de Rohmer est assez inopérant), il a cependant quelques présupposés dont celui de croire que les choses justes ne se peuvent jamais contrarier entre elles.On pourrait même dire que Rohmer n'a jamais filmé que des choses fausses qui fatalement ne font que se contrarier. Filmer des choses fausses c'est avant tout filmer une langue, une langue qui tourne trop vite, qui se retourne contre le personnage et finit par le trahir (je cite Philippe Azoury dans un remarquable petit article paru dans le numéro de Libération consacré au cinéaste).
Une langue qui tourne trop vite... comment ne pas penser au dernier film moral des années 2000.
Et si le dernier grand film rohmérien avait pour titre Inglorious Basterds ?

Eric Rohmer (1920 - 2010)



Notes retrouvées sur Eric Rohmer.

A la sortie du Mac-Mahon, nous voulions bouger comme Fred Astaire. A la sortie des films de Rohmer, je me disais que si je faisais un film, il serait, peut-on dire dansé (les films de Rohmer sont avant tout musicaux) comme celui que je venais de voir.

Le cinéma de Rohmer est un cinéma de la modestie mais non de l'humilité. Il fait de son économie le principe de sa beauté.

Je me souviens avoir acheté une caméra super-huit et être allé filmer les Buttes-Chaumont après avoir vu La Femme de l'aviateur.

Limpidité du regard de Rohmer.

Dans tout plaisir il y a réflexion et il faut espérer que dans toute réflexion il y a du plaisir (E. Rohmer).

Les bus à Paris me font très souvent penser à Rohmer. Contagion du regard du cinéaste qui transforme le monde en son monde, nous faisant croire qu'il est le notre (équivalent littéraire ? Proust ou alors le Ponge du Parti pris des choses).

Un cinéma essentiellement pseudo-réaliste.

A-t-on jamais aussi bien filmé l'estran (Pauline à la plage, Conte d'été). Une zone d'indétermination, tantôt découverte, tantôt recouverte.

Un choix doit être fait, un carrefour exploré avant la décision. Importance de la topographie (redistribution de l'espace comme des actes).
La parole, mais aussi le geste, épousent l'architecture. La réciproque est aussi vraie.

Je me souviens d'avoir été amoureux d'Anne-Laure Meury.