Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.

C'est l'histoire d'un vieux qui va crever, et qui à la mort oppose, en vain, l'amour de l'argent. Car l'argent c'est ce qui circule, ce qui s'accroit.
Il y a chez Harpagon un refus viscéral de sa finitude dont le prix à payer est une forme hubris.
C'est l'histoire d'un père dont le fils spécule sur la mort. Il finira par le voler et le fera chanter.
C'est l'histoire d'un veuf dont la future femme ne l'épouse que parce qu'elle sait qu'il va bientôt disparaître, et qui n'en veut qu'à son argent.
C'est l'histoire d'un homme sans pouvoir, qui ne fait peur à personne. Un homme que la vie fuit sous le regard indifférent ou méprisant des autres protagonistes qui n'auront de cesse, une fois le temps venu, de dilapider l'héritage.
C'est l'histoire d'un vieux qui s'il finit par retrouver sa cassette, c'est à la manière de ces chiens faméliques à qui on donne un dernier os à ronger avant qu'ils ne clabotent oubliés dans un coin.
Les pères meurent toujours seuls.

Dans des pages fameuses de la Généalogie de la morale, Nietzsche fait de l'oubli, ce qu'il appelle oubli actif, une des conditions du bonheur. Sans oubli, il ne saurait y avoir de bonheur, de belle humeur, d'espérance, de fierté, de présent (c'est Nietzsche qui souligne). Présent qui, il faut le préciser, n'a rien à voir avec celui du troupeau qui s'en va broutant et qui ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui. Sans oubli, le passé est perpétuellement rabattu sur le présent, c'est l'oubli qui permet une véritable mémoire de la volonté, et l'unique horizon reste celui de la faute.
Il y a, me semble-t-il, dans les réactions autour de l'actualité la plus récente, au delà des cas particuliers, quelque chose de terriblement féminin. Ou plutôt, s'il est une chose que nous enseigne ces faits-divers, c'est la prééminence de la loi des mères. Au fond, la mère c'est celle qui n'oublie jamais.
Celle qui, pour paraphraser Nietzsche, n'en a jamais fini.