Me suis acheté un mini PC portable et me suis enfourné, tous ces derniers soirs, des séries US et Grande Bretonne. Profitons en tant que cela reste encore possible.

Life on Mars : Version américaine d'une série anglaise (grève des scénaristes oblige), c'est l'histoire d'un flic de 2008 qui, suite à une rupture spatio-temporelle, se retrouve, au début des années 70, dans un commissariat dirigé par Harvey Keitel (excellent) aux méthodes plutôt rudes. Le ressort dramatique repose sur la confrontation des méthodes de l'un et de l'autre et des points de vue quant aux questions dites de société (à laquelle s'ajoute un brin de mystère sur la situation réelle du voyageur temporel). La série semble rêver, seuls trois épisodes ont été diffusés, un âge d'or, une utopie, où tough guys, contre-culture et political correctness se donneraient la main. D'où parfois une certaine impression de mollesse. Bande son excellente.

Mad Men : Ici aussi retour dans le passé, aux débuts des années 60 dans le milieu de la publicité. La saison 1 (la seule que j'ai vue) a été diffusée en 2007, la saison 2 (en attente de visionnage) vient de se terminer sur la chaine AMC (Américan Movie Classic ). De facture justement classique (on peut penser au travail d'un Todd Haynes sur Loin du paradis), la mise en scène s'attache à retrouver une gestuelle en rapport avec des objets qui, pour nous, ont disparu ou quasi-disparu. Ainsi on ne peut qu'être frappé par la place prise par la cigarette, hommes et femmes fument tout le temps, avant l'amour, après l'amour, au bureau, à la maison, dans le train, au bar...Le travail d'écriture est aussi remarquable, le scénario donne, au fil des épisodes, aux personnages une densité, une présence (le jeu de l'acteur principal est sous cet aspect tout à fait exceptionnel), une loudeur pourrait-on même dire, qui font que chaque plan en porte la charge jusqu'au déséquilibre. Recommandé.

Jekyll et My Own Worst Ennemy : Ces deux séries (la saison 1 de la première est terminée, la deuxième en est à son 3ème épisode) revisitent Jekyll et Hyde. Si je les mentionne c'est qu'elles sont agréables à suivre (My Own Worst Ennemy n'est pas sans point commun avec Alias) mais c'est aussi pour ceci :
- L'approche classique du suspens, en gros celle de Hitchcock, consistait en une dilatation du temps. Ce que l'on voit ici est d'un tout autre registre. Le temps n'est plus dilaté, mais il est fragmenté et réorganisé non seulement à l'intérieur de chaque épisode (cf le coup de tonnerre que fut le flash-foward de Lost) mais au sein des séquences elles-mêmes. On retrouve cette figure de style dans les deux séries évoquées. Le personnage principal doit découvrir un espace où se cache un danger, une menace. L'avant, le pendant et l'après sont divisés en cellules temporelles qui feront l'objet d'une superposition qui n'obéit plus aux lois de la chronologie. Le spectateur n'attend plus, il sait que le héros ne va pas mourir, l'innocence est perdue mais aussi la rédemption. Ne reste plus qu'à reconstituer le puzzle, jouer avec. Le temps se fait alors simple meccano.
- Ces deux séries perpétuent le contresens à propos de Jekyll et Hyde, encore que My Own Worst Ennemy soit l'adaptation littérale de cette phrase du roman de Stevenson. Mais pour moi, sous mon impénétrable déguisement, la sécurité était complète.
Borges en décembre 1941 faisait un sort à ce contresens lors de la sortie de l'adaptation de Victor Fleming avec Spencer Tracy. Selon lui voir dans le roman une simple lutte entre le Bien et le Mal est une déformation et une diffamation de la pensée de Stevenson.
Dans le roman de 1886, le docteur Jekyll est moralement double, comme le sont tous les hommes, cependant que son hypostase - Edward Hyde- est un scélérat sans trêve et sans alliage.
Ces deux séries prolongent cette altération puisque les deux entités sont complètement isolées l'une de l'autre.
Au 1 + 1 = 2 proposé par ces séries, on peut préférer la complexité de l'arithmétique stevensonienne, à savoir 2 = 1 + 2.