Revu pour la énième fois Hibernatus de E. Molinaro. Le film est loin d'être bon, les scènes d'extérieurs sont particulièrement ineptes, et ne tient que par la présence de Louis de Funès. Il n'empêche que par son propos même, il produit un curieux effet.
Comme chacun le sait, l'histoire, sorte de variation autour de L'homme à l'oreille cassée d'Edmond About, est celle de Paul Fournier disparu en 1904 dans les glaces du Groenland, retrouvé congelé en 1969 (date de sortie du film) et ramené à la vie par la science triomphante. Afin de lui éviter un choc psychologique, on reconnaît là le thème qui sera exploité dans Good Bye, Lenin !, tout devra être fait afin qu'il croie vivre au début du siècle dernier.
Le film est construit en deux parties. La première est la description des descendants de l'Hiberné, leur habitat, leur mode de vie etc... ; la seconde narre l'arrivée de Paul Fournier et les modifications rendues nécessaires par sa présence. Or afin de bien marquer le hiatus entre les deux époques (1969/1905), le scénario se doit de donner à la première tous les signes de la modernité, voire de l'hyper-modernité. Ainsi trouvent-on des toiles pop-art chez de Funès, et le générique nous apprend que les meubles modernes ont été choisis chez DESIGN. Cet aspect qui a terriblement vieilli (une remarque similaire peut me semble-t-il être faite à propos de Playtime de Tati), l'environnement fin des années 60 (les DS noires avec changement de vitesse au volant !) auxquels s'ajoute l'image d'une bourgeoisie perdue (le voussoiement entre les époux, la soubrette qu'on lutine, la légion d'honneur, le mariage arrangé) font que le téléspectateur de 2008 adjoint une nouvelle couche temporelle à celle prévue par le scénario. Paradoxalement, l'époque la plus proche nous apparaît comme la plus lointaine car non reconstituée.
Alors que l'Hiberné va vers le futur, le téléspectateur se déplace dans le sens contraire éprouvant, du fait du dispositif, toute l'épaisseur et l'étrangeté du temps passé. Paul Fournier finira par découvrir la vérité grâce à un poste de télévision, en cet après-midi du premier mai nos chemins se sont peut-être croisés.

Continué, à petit pas, en revenant sur mes pas, la lecture d'Anna Karenina dans la traduction anglaise de R. Pevear et L. Volokhonsky. Je ne sais rien de plus beau que les tous premiers chapitres d'Anna Karenine. Je ne connais pas le russe mais cette traduction (elle date de 2001) me semble rendre compte de cette palpitation qui est au coeur du style de Tosltoï. Non pas des morceaux de vie mais la vie elle même.

'Matvei, my sister Anna Arkadyevna is coming tomorrow', he said, stopping for a moment the glossy, plump little hand of the barber, who was clearing a pink path between his long, curly side-whiskers.

On ne peut que rêver sur ce pink path alors que la traduction française d'Henri Mongault (1952) donne le prosaïque : ...en train de tracer à l'aide du peigne une raie rose entre ses longs favoris bouclés, frisés.
En cet après-midi du premier mai, la littérature se résumait à ses deux mots pink path (1).

(1) Il ressort d'une recherche rapide que Constance Garnett, traductrice "historique" de Tolstoï en anglais, donne également pink path; Rosemary Edmonds (1954) opte pour rosy parting (une raie rose). Un ami russophone pourrait-il nous éclairer ?

(Il s'agit bien d'un chemin rose: rozovaya doroga - merci à Stéphane)