La honte.
Fin de la grève à l'hypermarché Carrefour de Marseille. Après deux semaines de conflit, les employés obtiennent une hausse de 3,05 euros à 3,50 euros du ticket restaurant et une prime de 134 euros payable en bons d'achat utilisables dans le magasin.
Reviennent les mots de Péguy.
Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbés qu'ils ne se relèveront jamais.
(...)
Et des voix si noyés de sanglots.
Et des yeux si noyés de travail, et des yeux si noyés de larmes.
Des yeux perdus, des voix perdues.
Péguy, Le mystère des saints innocents.

Amour propre
A. trouve que le billet sur les jeunes femmes qui fument est empli de tristesse, que la tristesse y est même débordante. Je lui réponds que cela est fort possible mais qu'à vrai dire j'ai essayé d'esquisser une attitude, que la chose n'avait pas d'autres prétentions. Elle me dit, que de ce point de vue, c'est plutôt réussi. Je dois avouer que cela me fait plaisir.

Mercredi.
Je n'achète plus l'Officiel des Spectacles. Je ne vais plus au cinéma. Je lis Le Roi Lear.
'Tis the time' plague, when madmen lead the blind.
Dans le monde de Lear, monde à la renverse, espace tragique où l'absence de Dieu fait sentir tout son poids, ce sont les fous qui conduisent les aveugles. A la lecture des journaux, je ne suis pas loin de penser que la situation reste la même mais qu'à la tragédie s'est substituée au mieux le vaudeville, au pire le boulevard.

Vu.
A la sortie du métro, une vieille tzigane est agenouillée. Elle hurle. Face à elle un mouchoir garni de de pièces cuivrés et une canne orthopédique. Elle hurle de plus en plus fort, de la main droite saisit la canne en son milieu et martèle le sol. Au bout de quelques minutes on remarque qu'elle tient de l'autre main un mobile et qu'il s'agit d'une conversation téléphonique qui tourne mal. Mais qui paye l'abonnement ?

Rosset.
Acheté La Nuit de mai de Clément Rosset. Ça se lit en une 1/2 heure (48 pages, 6,50 euros) ; dans la cage du réel Rosset ne commencerait-il pas à tourner en rond ? La présentation du texte est assez curieuse, le livre serait la réalisation d'un plan que l'auteur aurait rêvé, et l'idée directrice assez simple, du moins déja connue : le désir est quelque chose de très compliqué ou plutôt de très complexe. On ne désire jamais une chose, mais plusieurs choses. Il en va d'ailleurs de même pour la joie, on ne peut-être joyeux que de toutes les joies. Comme le fait remarquer Rosset cela a été dit par Proust et Deleuze et j'ajouterais par Rosset lui-même (in La Force majeure). Plus intéressantes sont les digressions à propos de René Girard (si l'objet du désir ne peut-être unique il en va de même pour le je désirant), du communicationnel (le déprimé est coupé du monde) dans l'expérience de la joie, et des héros balzaciens. A partir d'une fine étude de ces derniers, Rosset distingue deux sortes d'égoïstes :
- L'égoïste actif qui au nom de son ambition, de son désir, élimine l'autre.
- L'égoïste passif, beaucoup plus radical, pour qui l'autre n'existe tout simplement pas et qui n'a pas même l'excuse de la passion. Un homme sans passion est un monstre (Le Cousin Pons)
Cependant l'égoïsme possède au moins une qualité, celle d'être le seul à garantir à autrui qu'on le laissera tranquille en toute occasion. Vous ne serez jamais dérangé par quelqu'un qui ne s'intéresse pas à vous.
Il me semble que cette Nuit de mai fait l'impasse sur une autre nuit (j'ai d'ailleurs cru en achetant l'ouvrage y voir une allusion) dont l'objet est, le moins que l'on puisse dire, unique.
Depuis environ 10 heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,
Feu.
Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
En ai profité pour parcourir Un Amour de Swann.
Comme tous ceux qui possèdent une chose, pour savoir ce qui arriverait s’il cessait un moment de la posséder, il (Swann) avait ôté cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans le même état que quand elle était là. Or l’absence d’une chose, ce n’est pas que cela, ce n’est pas un simple manque partiel, c’est un bouleversement de tout le reste, c’est un état nouveau qu’on ne peut prévoir dans l’ancien.
Au fond chez Proust, plus que l'idée de multiplicité des objets désirés, il y a contamination, échange, entre un objet premier, clef de voute de tout l'édifice, et des objets périphériques qui viennent s'y agréger. Le désir ne se porterait pas tant sur une multitude d'objets désirables que sur ce flux par définition insaisissable.
Reste le mystère de la nuit pascalienne.

Séminaire.
G. veut réhabiliter la fameuse formule : Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver. Je comprends ce qu'il veut dire et il est vrai qu'entre l'esprit Canal+, le Palais de Tokyo, les Inrocks et La Mome, l'horizon semble bien bouché. Mais je persiste à croire que c'est vouloir noyer le bébé en disant qu'il a la gale. Pour ma part je serais plutôt favorable à un éloge de l'académisme. Fumaroli for ever.