Une jeune femme, au cours d'un déjeuner fort agréable, me fit remarquer que ce blog avait pour certains un caractère intimidant. Bien qu'elle ne le considérât pas comme tel, elle pensait que la raison en tenait dans la volonté de retrait de son auteur, dans son peu de goût pour le dévoilement personnel (1).

En juillet 1722, Voltaire voyage vers la Hollande où il compte faire imprimer son Henriade. Il est en compagnie de la comtesse de Rupelmonde qui est probablement sa maitresse. Elle a la trentaine.

Une Beauté qu'on nomme Rupelmonde,
Avec qui les amours et moi
Nous courons depuis peu le monde
Et qui donne à tous la loi,
Veut qu'à l'instant je vous écrive;
Ma Muse, comme à vous, à lui plaire attentive,
Accepte avec transport un si charmant emploi.(2)



Bien que veuve, elle semble avoir des problèmes de conscience quant à sa conduite. Afin de la rassurer, Voltaire lui écrit ce qui deviendra ''l’Épître à Uranie''. Le temps passe, les liens se défont.

Je suis très touché de la mort de Mme la comtesse de Rupelmonde. Je voudrais bien lui voler encore des pilules, elle en prenait trop et moi aussi : Je la suivrai bientôt ; tout ceci n'est qu'un songe. Vale. (3)

Saint-Simon (encore lui!) ne l'aimait guère. Elle était rousse.

Mme d'Alègre maria en ce même mois sa fille à Rupelmonde, Flamand et colonel dans les troupes d'Espagne, pendant que son mari était employé sur la frontière; elle s'en défit à bon marché, et le duc d'Albe en fit la noce. Elle donna son gendre pour un grand seigneur, et fort riche, à qui elle fit arborer un manteau ducal. Sa fille, rousse comme une vache, avec de l'esprit et de l'intrigue, mais avec une effronterie sans pareille, se fourra à la cour, où avec les sobriquets de la Blonde et de Vaque-à-Tout, parce qu'elle était de toutes foires et marchés, elle s'initia dans beaucoup de choses, fort peu contrainte par la vertu et jouant le plus gros jeu du monde. (4)

La comtesse de Rupelmonde est l'une de ces âmes errantes qui traversent les Mémoires (trois occurences). Errante mais bien attrapée - rousse comme une vache.
Son mari meurt peu de temps après ce mariage, en 1710. Elle doit alors assurer l'avenir de son fils unique.

Le deuil fini, la Rupelmonde intrigua plus que jamais, et à force d'audace et d'insolence, de commodités et d'amourettes, parvint longtemps depuis à être dame du palais de la reine à son mariage, et par une longue et publique habitude avec le comte depuis duc de Grammont, à faire le mariage de son fils unique avec sa fille rousse et cruellement laide, sans un sou de dot. (4)

Une fille rousse et cruellement laide...

Des leçons de morale que me fit ma mère, je crois en avoir véritablement retenu qu'une seule. Adolescent, elle me précisa (mon frère était-il présent ?), je ne sais plus à quelle occasion, que jamais une fille ne pardonnerait une remarque désobligeante faite sur son physique. Que l'on pouvait presque tout dire,sauf ça, que la blessure aurait été trop profonde.
Je n'ai jamais dérogé à cette règle.

Est-ce pour cela que ce cruellement laide ne cesse de résonner en moi ?

(1) Mais il se peut, que dans le cas présent, intimidant soit plus simplement le synonyme de chiant.
(2) Lettre au cardinal Dubois, juillet 1722
(3) Lettre à Jean-Henri-Samuel Formey, vers le 15 juin 1752.
(4) Mémoires, 1705