Les femmes, celles qui l'avaient accompagné depuis la Galilée et avaient tout suivi, regardèrent le tombeau et comment le corps avait été mis
et elles s'en retournèrent apprêter des aromates et des parfums. Et le sabbat, elles se tinrent tranquilles selon le commandement.
Luc, XXIII, 55-56 (traduction Jean Grosjean).

Ce qui me touche ...“la beauté du monde”, (des gens), en garder une part…
C. de Zohiloff.

Le dépositaire doit apporter dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent.
Code civil, art 1927.

Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbés qu'ils ne se relèveront jamais.
(...)
Et des voix si noyés de sanglots.
Et des yeux si noyés de travail, et des yeux si noyés de larmes.
Des yeux perdus, des voix perdues.
(...)
Et des âmes si perdues de détresse que jamais elles ne redeviendront jeunes.
Que jamais elles ne redeviendront enfants.
Péguy, Le mystère des saints innocents.

Alors que le majestueux et dodu Buck Mulligan pérore, Stephen Dedalus pense à sa mère morte. Il songe à ce qu'il appelle ses secrets (her secrets) : de vieux éventails de plumes, un carnet de bal, une parure de grains d'ambre, une cage d'oiseau, une pomme vidée, son rire...Il se souvient qu'il l'a vue en rêve, son corps flottant dans sa toilette de morte, penché vers lui en muets secrets (bent over him with mute secret words). Des objets dérisoires, des mots qui n'arrivent plus à dire, dont Stephen se doit de garder la trace. A la manière du héros Joycien, Charles de Zohiloff est un gardien.
Corps fatigués, exténués dont Zohiloff recueille le limon et l'haleine de vie puisque nous sommes faits des deux; églises désertées par les hommes, réceptacles où ne subsiste, ce que l'on peut nommer faute de mieux, que la grâce. Une grâce comme lettre morte pour cause d'absence de destinataire.
Echanges silencieux. Refus de l'anecdote, on ne pérore pas. Mute secret words.
Les photographies de Zohiloff sont le contraire d'une dépossession. Zohiloff ne vole rien, photographe et photographiés se font face. Les uns déposant le masque, l'autre ses éventuels préjugés et se portant garant des secrets qui lui sont confiés.
Sera-t-il dit que jamais nous reviendrons enfants demande Péguy. A cette question Zohiloff ne répond pas, et je doute même qu'elle ait un sens pour lui. Ici point de salut. Pas de question, encore moins de réponse. Juste essayer de nous donner à voir les alluvions du temps et de la vie. Et c'est beau.

Aux visiteurs de passage, on signale que les photographies de Charles de Zohiloff sont visibles ici et . Ainsi que (rubrique archives-provisoirement?)