Gare du Nord (mardi 27).


Via Hugo

Tout le monde, sauf les juges et les agents de police, est tellement habitué, désormais, à envisager les lois au second degré, c’est-à-dire comme le reflet du rapport des forces au sein de la société, qu’on oublie qu’elles puissent être aussi, éventuellement, ce pour quoi elles se donnent d’abord, les instruments de l’harmonie dans les rapports sociaux.
Renaud Camus - Buena Vista Park (1980)

Dans le bus (il y a quelques jours).
Un petit problème de science politique in vivo. Une dame âgée demande à un jeune homme, qui se trouve à quelques places d'elle, de bien vouloir fermer la fenêtre, elle se plaint d'un courant d'air. Le jeune homme refuse : « Si je ferme, on aura le choix entre l'asphyxie et le fait de mourir de chaud. » Il me faut préciser que la température est moyenne, et que si le bus n'est pas bondé, il n'est pas non plus vide. Le ton monte. La dame rétorque en indiquant la plaque sur laquelle il est précisé que la priorité, dans ce type de conflit, doit être donnée à celui qui souhaite la fermeture des fenêtres. Le jeune homme s'énerve. D'une voix forte il déclare que l'on est en démocratie (!), que l'on va voter : « Qui veut laisser la fenêtre ouverte ? » Deux mains se lèvent, le reste des voyageurs est indifférend. La tentative de référendum n'ira pas plus loin. La dame maugrée. Le bus s'arrête. Je dois descendre.
Qu'est ce qu'une loi ou un réglement qui ne s'appliquerait pas, qui ne s'appliquerait jamais puisque l'infinité des situations particulières - on pourra appeler cet ensemble infini : R comme Réel - échapperait à son domaine d'application ?

Collège de France (il y a trois semaine environ).
En attendant le professeur, et alors que ma voisine s'endort, j'écoute d'une oreille indiscrète la conversation qui se déroule juste derrière moi. Une voix masculine débite des clichés à propos de l'art et de la culture japonaise, une voix féminine acquiesce. Il ne semble pas qu'ils se connaissent, je ne décèle pas de familiarité dans l'échange. Juste deux auditeurs qui conversent avec peut-être chez l'homme une volonté, qualifions la de légère, de plaire. L'homme renchérit : «...les films japonais...ce mélange de violence et de douceur...». Une courte pause, et la femme déclare avec ce qu'il faut de retenue pour cacher ce qui peut-être un aveu : « Ce n'est pas fait pour me déplaire. » Un long silence sur lequel je peux me retourner. Ils sont tous deux aux abords de la soixantaine, la femme est encore belle, l'homme a un point rouge au revers de sa veste.

Rue Berger (hier soir).
Après avoir passé un fort agréable moment, j'attends l'organisatrice de cette rencontre avec Renaud Camus. Je consulte mon petit carnet rouge, et relève ces deux aphorismes de Borges qui vérifications faites ont été écrits pour le premier en 1947, et pour le deuxième en 1983.
On ne perd que ce qu'on n'a pas réellement possédé (in Nouvelle réfutation du temps - Autres inquisitions).
Celui-la seul qui est mort est nôtre, seul est nôtre ce que nous avons perdu (...). Il n'y a d'autres paradis que les paradis perdus (in Possession de l'hier - Les Conjurés).
Double mouvement, qui me semble caractéristique, de l'oeuvre de R.Camus. Eprouver le sentiment de la perte alors que l'on n'a pas possédé, et par la même faire sien la totalité des mondes perdus.
Renaud Camus est un survivant.