En 1897, Emile Durkheim définit au chapitre V de son ouvrage Le Suicide le concept d'anomie

Mais la société n'est pas seulement un objet qui attire à soi, avec une intensité inégale, les sentiments et l'activité des individus. Elle est aussi un pouvoir qui les règle...Par elle-même, abstraction faite de tout pouvoir extérieur qui la règle, notre sensibilité est un abîme sans fond que rien ne peut combler...Mais alors, si rien ne vient la contenir du dehors, elle ne peut être pour elle-même qu'une source de tourments...il faut donc avant tout que les passions soient limitées...Mais puisqu'il n'y a rien dans l'individu qui puisse leur fixer une limite, celle-ci doit nécessai­rement leur venir de quelque force extérieure à l'individu. Il faut qu'une puissance régulatrice joue pour les besoins moraux le même rôle que l'organisme pour les besoins physi­ques. C'est dire que cette puissance ne peut être que morale...Seulement, cette loi de justice, ils ne sauraient se la dicter à eux-mêmes pour les raisons que nous avons dites. Ils doivent donc la recevoir d'une autorité qu'ils respectent et devant laquelle ils s'inclinent spontanément. Seule, la société, soit directement et dans son ensemble, soit par l'intermédiaire d'un de ses organes, est en état de jouer ce rôle modérateur; car elle est le seul pouvoir moral supérieur à l'individu, et dont celui-ci accepte la supériorité. Seule, elle a l'autorité nécessaire pour dire le droit et marquer aux passions le point au-delà duquel elles ne doivent pas aller...Seulement, quand la société est troublée, que ce soit par une crise douloureuse ou par d'heureuses mais trop soudaines transformations, elle est provisoirement incapable d'exercer cette action...Tant que les forces sociales, ainsi mises en liberté, n'ont pas retrouvé l'équilibre, leur valeur respective reste indéterminée et, par consé­quent, toute réglementation fait défaut pour un temps. On ne sait plus ce qui est possible et ce qui ne l'est pas, ce qui est juste et ce qui est injuste, quelles sont les revendica­tions et les espérances légitimes, quelles sont celles qui passent la mesure...Ainsi, les appétits, n'étant plus contenus par une opinion désorientée, ne savent plus où sont les bornes devant lesquelles ils doivent s'arrêter...L'état de dérèglement ou d'anomie est donc encore renforcé par ce fait que les passions sont moins disciplinées au moment même où elles auraient besoin d'une plus forte discipline...Or, il se trouve qu'en même temps la lutte devient plus violente et plus douloureuse, à la fois parce qu'elle est moins réglée et que les compétitions sont plus ardentes...

Mais on a déjà été beaucoup trop long.
Une époque qui voit une journaliste, que l'on ferait bien rôtir à petit feu, écrire un article intitulé Les pompiers, enfants gâtés de la République, les mêmes pompiers incendier divers véhicules et caillasser les flics alors que ceux-ci les avaient préalablement joyeusement tabassés, cette époque donc donne une assez bonne définition de ce que Durkheim appelait état de déréglement ou anomie.