C'est exact, tout ce que je vous raconte... Y en a encore bien davantage... Mais j'ai plus de souffle au souvenir! Trop de monde a passé dessus... comme sur le pont... sur les souvenirs... comme sur les jours!...
Céline - Guignol's band I

On peut lire ici un entretien avec Jean-Louis Costes ainsi qu'une critique de son roman: Grand-Père. Je ne connais que très vaguement Costes, dont l'univers m'est à priori quelque peu étranger, je n'ai pas lu ce livre (j'avoue attendre que la biblothèque en fasse l'acquisition) et ne peut donc en parler.
J'ai néanmoins lu le prière d'insérer (on ne dira jamais assez la difficulté de l'exercice; en passant et en pensant au vrai-faux/faux-vrai RJ, il faut ajouter que Mlle Lê excelle dans le genre, mais un prière d'insérer signé est-il encore un prière d'insérer ?), bref (cette note devient cryptique!) la maison Fayard parle aux lecteurs et nous informe : On dirait du Mac Orlan secoué, du Cendrars fou, du Céline îvre.
Mazette ! Rien de moins ! Le problème est que cela ne veut strictement rien dire et que c'est complètement idiot.
A propos de son style, au cours d'un enregistrement de 1957 (1) Céline déclare:
Ce style, il est fait d'une certaine façon de forcer les phrases à sortir légèrement de leur signification habituelle, de les sortir des gonds pour ainsi dire, les déplacer, et forcer ainsi le lecteur à lui-même déplacer son sens. mais très légèrement ! Oh! très légèrement ! Parce que tout ça, si vous faites lourd, n'est-ce-pas, c'est une gaffe, c'est la gaffe. Ca demande donc énormément de recul; c'est très difficile à faire, parcequ'il faut tourner autour. Autour de quoi ? Autour de l'émotion (...). Je n'écris pas facilement ! Qu'avec beaucoup de peine ! Et ça m'assomme d'écrire en plus (...). Mais je n'ai pas de facilité du tout, nom de Dieu ! Aucune (...). Seulement je me mets au travail.
Du Mac Orlan secoué, du Cendrars fou, du Céline îvre....pauvre employé aux écritures de la maison Fayard, tu me copieras 100 fois les lignes suivantes (et tu as de la chance car le temps nous manque pour faire quelques recherches du coté de Cendrars et de Mac Orlan). :

- Et alors, est ce que vous cherchez vraiment à indigner le lecteur ?
- Pas du tout.
- C'est une attitude ?
- Je ne m'occupe que de technique.
- Que de la technique ?
- Que de la technique. Non, lui il m'est froidement égal, indifférent au possible.
- Vous ne vous occupez pas, absolument pas du lecteur ?
- Ah non, absolument pas de ce qu'il pense. Je voudrais bien qu'il m'achète, ça me permettra de bouffer (2).

Dans les Entretiens avec le professeur Y (1954), Céline se définit comme un inventeur, l'inventeur de l'émotion dans le langage écrit et c'est pas qu'un petit turbin je vous jure !...retrouver l'émotion du "parlé" à travers l'écrit ! c'est pas rien !...c'est infime mais c'est quelque chose !... Et cette invention technique, il l'a faite parce qu'il a compris que le monde avait changé : les écrivains d'aujourd'hui ne savent pas encore que le cinéma existe !...et que le cinéma a rendu leur façon d'écrire ridicule et inutile...péroreuse et vaine !... Il la faite à la manière des Impressionnistes : ils n'ont pas cherché à concurrencer la photo !...pas si stupides! ils se sont cherchés un petit condé...ils ont inventé un petit truc ! que la photo pourrait pas leur secouer !...
Le style, ce serait serait donc ça : une petite technique, une petite chose (2) en adéquation avec un état du monde.
J'ai songé à ce texte de Jean-Jacques Schuhl paru en 1972, Rose poussière (3). Comment décrire l'homme interchangeable et sans nom, l'homme interchangeable et synthétique. Comment décrire (je cite le prière d'insérer !) cette zone commune (fosse commune) où n'ont plus court les valeurs de la culture, d'intelligence, de style ni de personne humaine, chaque chose n'étant plus là que pour soi, c'est à dire pour rien. Comment ?

(Au moment où le garde mobile renvoie le pavé d'une main - une seule - gantée d'une mouffle montante à deux lanières semblable à celles des hockeyeurs sur glace, il retrouve peu à peu le geste de celui qui le lui a envoyé.) Au moment où ils échangent des coups, où ils avancent et reculent doucement dans leurs inhumaines et collectives parures, les gardes mobiles barrent le quelque chose d'autre et sont ce quelque chose d'autre. Autant qu'un mouvement de répulsion contre l'autorité, leur apparition dans les rues provoque le trouble attrait du monde cruel et désindividualisé qu'ils (pré)figurent. Il y a entre les ennemis d'étranges complicités.

Si ce n'est en inventant un style.
J'aimerais un jour parvenir à la morne platitude distante des catalogues de la Manufacture française d'armes et cycles de Saint-Etienne, du comptoir commercial d'outillage, du Manuel de synthése ostéologiques de M.M. Müller, Allgröwer, Willenegger (...). En attendant, loin du compte, j'ai recopié des rouleaux de télex hippiques, France-soir, des paroles de chansons anglaises connues (...), des publicités de mode, lambeaux sur lesquels, furtivement, s'écrit le temps mieux que dans les oeuvres. Le reste, hélas, est de moi ; probablement.

Céline, Schuhl... joie des rencontres que certains qualifieront, peut-être, d'hasardeuses...

(1) Le Regard Littéraire (Céline - Le style contre les idées) - Editions Complexe (1987).
(2) Céline - Entretien donné à la Radio Suisse-Romande (Mars 1955) in Magazine Littéraire n° 280, septembre 1990.
(3) Jean-Jacques Schuhl - Rose poussière - Gallimard.