A la suite d'une précédente note, un correspondant m'écrit : Vous êtes bon prescripteur puisque je viens de m'acheter le « Journal atrabilaire ». J'avoue avoir été flatté même si ce sentiment de fierté fut de courte durée, mon correspondant ajoutant aussitôt : Mais avec un titre pareil, même sans prescription et signé de Tartempion, je n'aurais sans doute pas résisté. Si le compliment me toucha, c'est que des prescripteurs il n'en reste plus guère. En matière de littérature deux noms me viennent à l'esprit : Michel Polac et Simon Leys.(1)
Le prescripteur n'est pas tout à fait un critique, il peut ne pas être tributaire de l'actualité - c'est la cas de Leys - mais le point important, me semble-t-il, est qu'il établit un rapport subjectif à l'objet de son étude. Il n'a ni le regard froid et distancié de l'universitaire, ni le jugement d'autorité du critique. Il n'est pas non plus comme ce vray croquelardon(2) qui, comme le dit Rabelais, pensait qu'Ovide dans ses Métamorphoses avait songé aux sacrements de l'évangile. Sa subjectivité ne vient jamais recouvrir ce qu'il préconise, elle reste toujours en retrait ; il a la subjectivité modeste. Si au bout du compte, il ne parle que de lui - peut-il d'ailleurs en être autrement ? - en parlant d'un autre, l'autre n'est jamais le prétexte de sa causerie. Le prescripteur pointe toujours son nez mais ce n'est que le bout de celui-ci que l'on aperçoit.
Je n'ai pas acheté le journal de Jean Clair préférant réserver mes dix euros à l'acquisition d'Une histoire de la littérature française de Kléber Haedens(3). le mot important est bien entendu une. Une, la sienne. K.Haedens, mort en 1976, fut pendant de nombreuses années critique littéraire ; je ne crois pas que ses articles fassent l'objet d'un recueil. A propos de Villon, on peut lire ceci.

...ses poèmes, qui semblent pourtant formés du coeur même de l'hiver, nous font entendre le chant des sirènes glissant comme un murmure envolé dans un monde plein de silence.

J'ai passé mon week end avec Villon.

(1) Si je mentionne ces deux noms, c'est parce qu'ils ont tous deux une chronique régulière. L'un à Charlie Hebdo, l'autre au Magazine Littéraire.
(2) Pique-assiette.
(3) Les Cahiers Rouges - Grasset (1970)