Profité d'un week-end neigeux et froid pour lire ''Les tactiques de Chronos'' d'Etienne Klein, ouvrage à propos du temps, non celui qu'il fait mais celui qui fuit. Dans l'un des chapitres Etienne Klein s'intéresse plus particulièrement à la question des origines. Nous savons aujourd'hui que l'univers a eu une histoire. Est-ce à dire qu'il a eu un début? A cette question il apporte une double réponse.

1) Plus on se rapproche d'un instant dit zéro, plus il existe une incompatibilité entre les principes de la physique quantique et ceux de de la relativité générale. Par ailleurs les événements à étudier deviennent de plus en plus nombreux, nécessitant pour cette étude la mise en oeuvre d'une énergie de plus en plus grande et théoriquement impossible à obtenir.
2) D'un point de vue épistémologique comment dire que l'univers a pu émerger de quelque chose qui n'était pas un univers? Toute science a besoin pour se construire d'un réel, d'un déjà-là or l'origine ne fait précisement pas partie du déjà-là.
Kant, en 1783, disait également la même chose lorsqu'il estimait que penser le commencement du temps revenait à situer le temps dans le temps, à moins de penser un temps vide ce qui n'aurait alors pas de sens. Et Klein d'ajouter : Peut-on concevoir le temps sans le changement ? Pour qu'on puisse parler de changement, il faut que quelque chose change, et ce quelque chose, c'est déjà un univers...!
En conclusion Klein nous indique que nous ne savons donc rien de l'origine de l'univers, rien non plus de l'origine du temps, que le terme origine soit pris ici au sens chronologique ou au sens explicatif. Jean Marc Levy-Leblond ne dit pas autre chose : L'instant zéro est donc aussi inaccessible que l'infini : il n'y a jamais eu d'instant zéro !

J'ai alors pensé, mais il faut dire que la prédication protestante diffusée le dimanche matin y avait fait allusion (les émissions religieuses du dimanche matin à la radio sont pleines d'enseignement), à la lettre Beth, la deuxième lettre de l'alphabet hébreu. Le premier mot de la Bible est Beréshit dont la traduction traditionnelle est le fameux Au commencement. La première lettre de Beréshit est la lettre Beth. La première lettre de la Genèse est donc la deuxième de l'alphabet hébreu. Pas la premiere, l'Aleph, puisque l'origine est par définition inconnaissable et d'ailleurs exclue de toute connaissance. De même par sa graphie, ouvert d'un coté et fermé de l'autre - l'hébreu s'écrit de droite à gauche - le Beth indique bien qu'il existe un domaine que l'homme ne peut connaître. D'un coté l'histoire, le texte; de l'autre ...

Les exégètes s'accordent à voir dans le premier récit de la création (Genèse 1,1 - 2,4a) non pas le recours à la notion métaphysique d'une création ex-nihilo, à partir de rien, cette dernière n'apparaissant que bien plus tard dans 2 Maccabées 7,28 (1) - Je t'en prie mon enfant, léve les yeux vers le ciel et la terre, vois tout ce qui s'y trouve et saches que Dieu n'a pas fait cela de choses qui existaient, et qu'il en est ainsi de la race des hommes - mais plutôt la mise en ordre d'un chaos originel, le tohoû wâbohoû. Ainsi le Au commencement...peut-il être aussi compris par : Lorsque Dieu commença de créer le ciel et la terre, la terre était un chaos...
Pour reprendre les mots de Paul Ricoeur : Il n'y a pas de début ponctuel.

Bibles et livres restaient ouverts, la neige avait cessé de tomber, il faisait toujours froid, le temps s'écoulait.

(1) Les deux livres des Maccabées ne figurent pas dans le canon juif des Ecritures. Les protestants les rangent parmi les écrits "apocryphes". Ils ont été inscrits dans les Ecritures par le concile de Trente en 1546. Le deuxième livre des Maccabées aurait été écrit peu après 124 avant JC.