Si les les Houyhnhnms sont l'image de la perfection rationnelle, les Yahoos sont la résultante d'une vision augustienne de l'humanité, celle d'une humanité souillée - Une autre chose qui l'avait frappé chez les Yahoos, était leur étrange goût pour la saleté et l'ordure, alors que tous les autres animaux paraissent éprouver un amour naturel de la propreté - Ils sont pratiquement semblables à l'homme - leur tête et leur poitrine étaient couvertes d'une toison épaisse, frisée chez les uns, raide chez les autres (...) Ils n'avaient pas de queue ni de poils sur les fesses, excepté autour de l'anus (...) souvent ils se dressaient sur leur pattes de derrière. Les Yahoos ont des désirs infinis, ne connaissent pas de limite naturelle et ne sont jamais satisfaits - Si leur proie était volumineuse, ils en mangeaient presque au point d'en crever. Du point de vue de l'organisation politique, il y avait, certes, une sorte de chef yahoo mais il était le plus mal bâti et le plus malfaisant de tous.
Vision noire de l'humanité. Conscient de sa propre ressemblance et de celle des hommes avec les Yahoos, Gulliver, à son retour dans le monde (il a été chassé de l'île par Houyhnhnms) est pris de crises aigues de misanthropie - ma haine et mon mépris ne faisait que croître. Enfin je m'enhardis dans la rue, mais je gardais mon nez soigneusement avec des plantes aromatiques.. Alors qu'il retrouve sa famille - Et quant il me fallut penser qu'en m'accouplant avec un individu de l'espèce yahoo j'en avais procréé d'autres, je fus comme assomé de honte, de confusion et d'horreur. Et dès que sa femme lui donne un baiser, il tombe en syncope pendant plus d'une heure.
Le temps passant la misanthropie de Gulliver se fait plus douce - La semaine dernière, j'ai pour la première fois permis à ma femme de diner avec moi. Il va dans son jardin pratiquer les plaisirs de la méditation, et mettre en pratique les leçons de vertu apprises chez les Houyhnhnms pour éduquer les Yahoos de sa maison dans les limites de l'éducabilité de cet animal.
La réconciliation de Gulliver et de l'humanité ne pourra cependant jamais être parfaite.
Ma réconciliation avec la race des Yahoos, dans son ensemble (1), présenterait moins de difficultés si ceux-ci se contentaient d'avoir les vices et de faire les folies à quoi il sont destinés par nature. (...) Mais c'est quand je vois ce magma de difformités et de malfaçons, tant morales que physiques, se combiner avec l'orgeuil, que mon impatience éclate.

(1) Je hais et je déteste cet animal qu'on appelle homme encore que je puisse aimer de tout mon coeur John, Peter, Thomas Lettre de Swift à Pope (1725).

(A suivre)