Roi, dame, valet. (suite)

Frantz visite nuitamment avec son oncle Dreyer le grand magasin berlinois dont ce dernier est le propriétaire.
Un peu plus loin, d'un geste nonchalant et badin, il fit tomber de son support un gros ballon de plage qui s'en alla rouler sans bruit dans le noir, loin, très loin, jusqu'aux plages de sable blanc de la baie de Poméranie.(1)

L'image est en soi très belle. Mais lorsqu'une note dans l'édition de la Pléiade nous apprend que Vladimir Nabokov et sa femme passèrent l'été 1927 en Poméranie, sur les plages de l'île de Rügen. Et que c'est là que Nabokov aurait eu l'idée du roman; alors tout chavire.
L'espace du roman, l'espace biographique, les temps se confondent, se repliant les uns sur les autres. On imagine le couple - un moment de bonheur - surpris par ce ballon venu d'ailleurs, venu du roman à écrire. Scène destinée à se répéter indéfiniment - la mort aura été vaincue - puisque le livre a été écrit, qu'il devait l'être.
Assis sur un banc sous un soleil voilé pendant que le monde suit son cours, le lecteur pressent alors qu'il effleure, on ne peut que l'effleurer, la notion d'éternité.

(1) Trad - G.Magnane