Je ne sais plus d'où me vient cette manière que j'ai de manger les yaourts ; d'un ami de mon père, ou alors d'un voyage en Grèce...?
Avant toutes choses, il convient de préciser que par yaourt j'entends le yaourt nature dont l'acidité doit être légèrement corrigée par un peu de sucre, celui qui se caractérise aussi par sa consistance. Le yaourt n'a pas, bien entendu, la fixité, la solidité du fromage mais il n'a pas non plus le caractère molasson (mou et flasque) du flan. Le yaourt possède une tenue qui lui est spécifique. Certes il ne résiste pas mais du moins ne tremble-t-il pas. Il possède sa dignité.
Pour cause de liquidité, on excluera également les yogourts (type bulgare) et, encore plus, les yaourts dits à boire (type Yop). Ces derniers par leur consistance proche de la bave semblant particulièrement marqués du sceau de l'infâmie.
Comment alors respecter la noblesse du yaourt ? De la façon suivante.
Ouvrir le yaourt. Le vider, s'il y a lieu, de son eau. En recouvrir la surface d'une couche (dont l'épaisseur variera en fonction du goût de chacun) de sucre en poudre. On choisira de préférence du sucre de canne non raffiné. Et là, surtout ne pas mélanger, ne jamais mélanger.
Sous l'effet de l'humidité le sucre prendra l'aspect du sable mouillé, mais il ne faut pas attendre trop longtemps. A l'aide d'une petite cuillère l'on peut commencer à manger. L'on est d'abord frappé par la lègère résistance qu'offre le sucre, résistance qui révèle la structure propre du yaourt. Chaque cuillerée est semblable à ces falaises que l'on peut voir en pays de Caux, à Etretat, et donne à voir l'opposition entre la blancheur du lait et la couleur d'ambre de la fine pellicule de sucre.
En bouche, saveurs acides et sucrées sont percues distinctivement, les unes et les autres cohabitant sans se confondre. La texture du yaourt est préservée et n'est point constellée par les cristaux de sucre. Rien n'empêche d'ailleurs, cela est même conseillé, d'alterner des cuillerées sans sucre et avec sucre. Au fur et à mesure le sucre se fera de plus en rare, et ne finira par subsister que le piquant du lait fermenté. La morsure légère du yaourt.