Le monde allant tel qu'il va, nous lisons.
Dans l'un de ses cours de littérature(1) - ou le pire cotoie le meilleur - donné à son arrivé aux Etats-Unis et consacré à Mansfield Park de Jane Austen, Nabokov, parmi les éléments les plus caractéristiques du style de l'anglaise, signale une figure qu'il appelle la marche du cavalier et qu'il définit comme : Un terme emprunté aux échecs pour désigner un brusque écart sur l'un ou l'autre coté de l'échiquier des émotions.
Desirant donc échapper aux turpitudes du monde, nous avons acquis, sur la foi d'une critique d'Angelo Rinaldi, pour la modeste somme de 1,50 euros chez Gibert Joseph, un ouvrage, d'une dénommée Elizabeth Taylor (1912-1975), intitulé Angel (1957)(2). La personne en question est anglaise, et nous avouons - de Jane Austen à Barbara Pym en passant par Ivy Compton-Burnett, une certaine prédilection pour la cruauté polie des romancières anglaises.
Bref. Revenant du travail, à la sortie du train, poursuivant notre lecture et ce tout en marchant, nous nous arrêtons, au propre comme au figuré, sur ceci :
L'héroïne du livre, Angel, sorte de vilain petit canard, est devenue une romancière à succès. Elle s'intalle dans une nouvelle maison où il était de bon ton, à présent, d'habiter. Elle y vit avec sa mère.
- Je n'aurais jamais imaginé habiter ici, avait-elle dit à Angel. Pourtant dans les derniers temps, elle souffrait souvent de la poignante douleur (lowering pain) de se croire heureuse alors qu'elle ne l'était pas.
La marche du cavalier.
Brusque écart, décentrement. Fulgurance où le lecteur pour ne pas perdre pied est dans la quasi obligation de se reconnaître. La lucidité, l'acuité de nos amies anglaises avaient une fois de plus fait son oeuvre.
De manière précise, nette et sans bavure, nous étions - comment dire - kärcherisés.

Ps : En illustration l'unique portrait de Jane Austen. En plus du portrait, elle fut également décrite de la manière suivante : Elle était assez belle, petite et élégante avec des joues peut-être un peu trop pleines. Jacques Roubaud, dans la postface des romans parus chez Bourgois, ajoute : C'est peu.
C'est peu, on pourrait le dire aussi de ses romans. Mais il nous semble que, paradoxalement, toute son économie romanesque - sa force, son immensité - repose justement sur ce peu.



(1) V. Nabokov - Littératures I - Fayard.
(2) E. Taylor - Angel - Rivages poche. (Trad - Tina Jolas).