Une fois n'est pas coutume, mais il convient de signaler la diffusion sur France 5, le dimanche 5 juin à 9h20 (quel horaire!) d'une émission de Pierre Dumayet (réalisée par Robert Bober) consacrée à la correspondance de Flaubert.
Si l'on se permet cette prescription télévisuelle, alors même que nous n'avons pas encore vu la présente émission, c'est que l'on tient l'ensemble des émissions de Dumayet, et notamment un Lire c'est vivre sur Un Coeur simple du même Flaubert, pour, n'ayons pas peur des mots, des chefs d'oeuvres.
Il est difficile de filmer la littérature, pas de l'adapter de la filmer tout simplement. Dumayet et ses réalisateurs (Bober pour la plupart des derniers opus) sont les rares a y être arrivés(1). Leur réussite tient en une qualité : l'attention.
Dumayet est attentif. Attentif dans le sens d'un oeil attentif qui observe avec précision, qui, ici, observe et donne à voir le texte dans sa matérialité (de longs plans latéraux sur le texte et la phrase). Il est attentif également en ce qu'il porte également attention au texte, s'arrêtant sur un mot, s'interrogeant sur sa signification, cherchant des correspondances, des échos à travers l'oeuvre. Enfin il est attentif dans la mesure ou il fait attention à, fait preuve d'une méticulosité attentionnée, ne se pense pas supérieur à l'objet qu'il filme.
Ce que Dumayet filme c'est l'amour qu'il porte aux mots, aux écrivains, la conversation qu'il entretient avec la littérature. Et le moins que l'on puisse dire c'est que c'est assez rare à la télévision.

En avant goût: Extrait d'une lettre de Flaubert.

A LOUISE COLET.
(Croisset), nuit de vendredi 2 heures, 23 décembre 1853.

Il faut t'aimer pour t'écrire ce soir, car je suis épuisé. J'ai un casque de fer sur le crâne. Depuis 2 heures de l'après-midi (sauf vingt-cinq minutes à peu près pour dîner), j'écris de la Bovary, je suis à leur Baisade, en plein, au milieu ; on sue et on a la gorge serrée. Voilà une des rares journées de ma vie que j'ai passée dans l'illusion, complètement et depuis un bout jusqu'à l'autre. Tantôt, à 6 heures, au moment où j'écrivais le mot attaque de nerfs, j'étais si emporté, je gueulais si fort et sentais si profondément ce que ma petite femme éprouvait, que j'ai eu peur moi-même d'en avoir une. Je me suis levé de ma table et j'ai ouvert la fenêtre pour me calmer. La tête me tournait. J'ai à présent de grandes douleurs dans les genoux, dans le dos et à la tête. Je suis comme un homme qui a trop foutu (pardon de l'expression), c'est-à-dire en une sorte de lassitude pleine d'enivrements. Et puisque je suis dans l'amour, il est bien juste que je ne m'endorme pas sans t'envoyer une caresse, un baiser et toutes les pensées qui me restent. Cela sera-t-il bon ? Je n'en sais rien (je me hâte un peu pour montrer à Bouilhet un ensemble quand il va venir). Ce qu'il y a de sûr, c'est que ça marche vivement depuis une huitaine. Que cela continue ! car je suis fatigué de mes lenteurs. Mais je redoute le réveil, les désillusions des pages recopiées ! N'importe, bien ou mal, c'est une délicieuse chose que d'écrire, que de ne plus être soi, mais de circuler dans toute la création dont on parle. Aujourd'hui par exemple, homme et femme tout ensemble, amant et maîtresse à la fois, je me suis promené à cheval dans une forêt, par un après-midi d'automne, sous des feuilles jaunes, et j'étais les chevaux, les feuilles, le vent, les paroles qu'ils se disaient et le soleil rouge qui faisait s'entrefermer leurs paupières noyées d'amour.

(1) On notera également un Lovecraft de Bernard et Trividic