J'apprends par Libération que le film de T.Jousse présenté à Cannes est de prime abord un film sur le réseau, sorte d'ancêtre mid-eighties de la drague Minitel/Internet (les gens appelaient un numéro vide et, par multitudes, se racontaient).
J'avais vingt ans, l'un de mes pseudonymes, en hommage à un film de Rohmer, était L'Aviateur et, pendant quelques mois, j'ai fréquenté le Réseau.
Le principe en était simple. Il suffisait de téléphoner à l'horloge parlante, le service était alors quasi gratuit, et entre les silences de la voix enregistrée et les bips sonores (Au quatrième top, il sera exactement bip bip bip bip...) de laisser un numéro de téléphone, un message, qui n'était d'ailleurs pas nécessairement à caractère érotique ou pornographique, d'esquisser un dialogue. Certains - qui étaient-ils ? - réorientaient les participants sur des numéros en dérangement, où la voix masculine de l'horloge était remplacée par celle d'une jeune femme qui nous apprenait qu'il n'avait pas d'abonné au numéro demandé.
La pratique du réseau était, bien entendu, une activité essentiellement nocturne et finissait par entrainer, assez rapidement une véritable dépendance. Je n'ai pour ma part du avoir qu'une ou deux conversations téléphoniques hors réseau, et n'ai rencontré qu'une seule jeune femme. Nous nous étions donné rendez vous à la cinémathèque, je ne garde aucun souvenir du film, elle était coiffée d'un béret bleu de l'ONU (!) et m'avait entrainé à un concert folk fréquenté par des jeunes à cheveux longs. Nous ne nous sommes jamais revus. Ainsi, alors même que les rencontres n'étaient pas ma préoccupation principale, je ne pouvais m'empêcher de revenir au Réseau. Il y avait dans cet entremêlement de voix inconnues, à l'identité floue (des garçons par goût de la plaisanterie facile se faisaient très souvent passer pour des filles), dans ses messages répétés, ses plaisanteries scabreuses et surtout dans ce rythme imposée par les bips quelque chose de véritablement vertigineux, cette scansion s'imposait à nos désirs, les pliait à sa loi. Peu de temps après,il ne fut plus possible de se connecter à plusieurs à l'horloge parlante, les premiers numéros "érotiques" payants où il était assuré un confort d'écoute firent leur apparition, j'abandonnais le Réseau.
Ce rythme, je ne l'ai retrouvé que bien plus tard dans des circonstances plus dramatiques. Nous étions à Orly et la compagnie israélienne El Al venait de faire l'objet d'une attaque d'un commando terroriste. Un flic avait surgi, du haut de l'escalier roulant, accroupi, bras tendu, un flingue entre les mains. Il s'était mis à gueuler (Tirez vous d'ici, puisque je vous dis de vous tirer d'ici...). Des bruits de rafales se faisaient entendre, nous nous sommes donc enfuis et avons trouvé refuge à l'hotel Hilton situé à proximité de l'aérogare. Le contraste entre l'ambiance feutrée de l'hotel, nous étions parmi les premiers arrivés, et la fureur que nous venions de quitter était assez saisissant. Petit à petit d'autres passagers rejoignirent l'hotel, l'on se mit à parler fort, à raconter son aventure, à tenter d'avoir des informations. Et dans ce bouhaha,une voix se faisait entendre plus forte que les autres. Une jeune américaine téléphonait d'un poste publique. Elle hurlait a terrorist atttack, a terrorist attack, et toutes les dix secondes introduisait violemment une pièce dans la machine.
A terrorist attack - Shlack - Been a terrorist attack - Shlack - A terrorist....
L'aviateur appelle une fille - Vingt deux heures dix minutes et cinquante huit secondes - L'aviateur appelle une fille - Vingt deux heures dix minutes et cinquante neuf secondes - L'aviateur appelle une fille - Au quatrième top il sera...

Ps: Je signale à P.Azoury que l'un des derniers scénarios écrit par J.Eustache, paru dans les Cahiers, avait pour sujet le Réseau sur lequel il lui arrivait d'intervenir.