Dans L'imposteur invraisemblable Tom Castro, Borges nous raconte l'idée de génie du Noir Bogle. Faire passer, auprès de Lady Tichborne, mère horrifiée, Arthur Orton, fils de boucher, pour Roger Tichborne, officier anglais, disparu dans les eaux de l'Atlantique. Substituer à un gentleman svelte, au teint mat, aux cheveux noirs, un lourdaud replet, au teint de roux, aux cheveux châtains (...).
Bogle savait qu'il était impossible d'obtenir un fac-similé sans défaut du trop attendu Tichborne. Il savait aussi que toutes les similitudes qu'on aurait obtenues n'auraient servi qu'à faire ressortir davantage certaines différences inévitables. Il renonça à toutes ressemblance. Il comprit que l'énormité même de la prétention serait une preuve convaincante qu'il ne s'agissait pas d'une imposture, car personne n'aurait jamais négligé de façon aussi flagrante les traits à conviction.
L'imposture fonctionna pendant 3 ans jusqu'à la mort de lady Tichborne, et ne fut déjouée que par un coup du destin.
Il y a quelques années, lisant la préface de Maurice Pons au Voyages de Gulliver, je vis apparaître, pour la première fois le nom de Georges Psalmanazar.
On sait finalement peu de chose de Psalmanazar ou Psalmanaazaar. L'homme était blond, blanc de peau, parlait latin couramment, possédait de grandes connaissances théologiques, fruits, disait-il, d'une éducation chez les jésuites qu'il détestait. Il apparaît à Londres en 1702 (il a une vingtaine d'année), cornaqué par un chapelain écossais dénommé Innes. Jusque là rien d'extraordinaire, si ce n'est que Psalmanazar se déclare formosan!
Il acquiert assez rapidement une certaine notoriété, en profite, et fait paraître en 1704 An Historical and Geographical Description of Formosa. Le livre connait un grand succès, il est traduit en français dès 1705 sous le titre: Description de l'ile Formosa, en Asie: du gouvernment, des loix, des moeurs & de la religion des habitans, dressée sur les mémoires du Sieur George Psalmanaazaar ...; avec une ample & exacte relation de ses voiages dans plusieurs endoits de l'Europe
L'ouvrage est fort documenté, on y trouve de nombreuses gravures, des précisions sur la langue Formosane, une traduction du Notre Père (Amy Pornio dan chin Orhnio viey Gnayjorhe sai lory eyfodere sai...). On y apprend que le chiffre un se dit tauf, que ptommstomm veut dire cent, que les femmes formosanes ont ordinairement qu'une robe, alors que les japonaises en ont trois. Que le plat principal est le serpent qu'il faut avoir préalablement tapé à coup de bâtons, afin de faire monter le venin à la tête que l'on coupera promptement. Que le livre sacré des formosans est le Jarhabadiond et, que 20 000 enfants de moins de neuf ans sont sacrifiés chaque année.
Il s'agit, bien entendu, d'un ouvrage de pure imagination qui fit, d'ailleurs, longtemps autorité. Attaqué par les jésuites, qui connaissent l'île, notre homme a réponse à tout. Son teint clair : il fait partie de la bonne société de Formose, et a donc vécu à l'ombre des palais. Formose décrite comme une province japonaise alors que tous les voyageurs attestent qu'elle est chinoise : calomnies des jésuites.
Au bout de trois, quatre ans, Psalmanazar fatigué laissa transparaître la vérité. Il apprend l'hébreu. A sa mort en 1763, Psalmanazar laissera des mémoires posthumes dans lesquelles il confirmera ne pas être formosan (Tout est faux, son éducation, ses voyages, il est originaire de Provence, et le coup avait été monté avec Innes); on ne saura jamais sa véritable identité.
Je m'étais donné pour maxime et règle, et l'on ne put m'en faire départir, de ne jamais modifier, rectifier ou démentir ce que j'avais une fois affirmé en conversation, fût-ce invraisemblable, voire absurde, fût-ce seulement devant un tout petit nombre de personnes. Par exemple, ayant une fois par inadvertance donné verbalement le nombre de 18.000 comme étant celui des enfants sacrifiés annuellement à Formose, je ne voulus jamais me résoudre à en rien rabattre bien qu'il fût évident que la population d'une île de cette dimension eût été menacée de rapide extinction si elle avait perdu chaque année un tel nombre d'enfants mâles, à supposer que les habitants fussent assez stupides pour accepter, et les prêtres assez cruels pour exiger de pareils sacrifices.