Pour Habermas, qui se définit lui-même comme guère motivé religieusement, au-delà d'un respect du aux personnes, par rapport aux traditions religieuses, la philosophie a des raisons de se tenir prête à apprendre. Ainsi à l'opposé de l'abstention éthique d'une pensée postmétaphysique qui ignore tout concept définitif de la vie bonne, les traditions religieuses articulent des intuitions concernant la faute et la rédemption, lesdites intuitions étant restées vivantes à travers leurs interprétations. C'est pourquoi - à la seule condition d'éviter le dogmatisme et la contrainte sur les consciences - quelque chose qui est rester intact dans la vie commune des communautés religieuses, et qui s'est perdu ailleurs, que le savoir professionel des seuls experts est incapable de restituer peut fonder du coté de la philosophie, une volonté d'apprendre de la part des religions. Ainsi l'appropriation par la philosophie de contenus chrétiens a-t-elle pu déboucher sur des concepts comme intériorisation et incarnation, individualité et communauté. En passant, il convient de constater et d'affirmer que les concepts judéo-chrétiens de Ressemblance de l'homme avec Dieu, de Mystère de l'Incarnation sont des concepts, qui par leur ambivalence même sont éminemment salvateurs. Pour revenir à Habermas, il conclut son intervention de la manière suivante:
Quand les citoyens sécularisés assument leur rôle politique, il n'ont le droit ni de dénier à des images religieuses du monde un potentiel de vérité présent en elles ni de contester à leurs concitoyens croyants le droit d'apporter, dans un langage religieux, leur contribution aux débats publics. Une culture politique libérale peut même attendre des citoyens sécularisés qu'ils participent aux efforts pour faire passer du langage religieux en un langage accessible à tous des contributions pertinentes.
Dans sa contribution Ratzinger part d'un double constat.
- La constitution d'un espace mondial ou les puissances politiques, économiques, culturelles sont de plus en plus renvoyées les unes aux autres, où leurs divers espaces vécus se touchent et s'interpénètrent mutuellement.
- Le développement des possibilités de l'homme, d'une puissance de faire et de détruire qui pose la question du contrôle juridique et éthique de cette puissance.
D'ou la nécessité de définir un ensemble de principes éthiques valident dans un espace mondialisé.
Concrètement pour Ratzinger, la politique consiste à placer la force sous le contrôle du droit. C'est en faisant prévaloir la force du droit, et non pas le droit du plus fort, que sera banni l'arbitraire et que la liberté pourra être vécue comme une liberté partagée. La liberté sans le droit c'est l'anarchie et donc la destruction de la liberté. Immédiatement se pose la question des fondements de ce droit. Force est de constater que dans nos démocraties occidentales, le droit résultant de la volonté de tous, c'est donc par définition le droit de tous, et à c'est à ce titre qu'il il peut et doit être observé.
Cependant l'unanimité règne difficilement entre les hommes, quand une majorité, si forte soit-elle, opprime une minorité (religieuse, raciale...), peut-on parler de justice ou de droit. Le principe majoritaire ne supprime donc pas la qusetion des fondements éthiques du droit. Subsiste toujours la question de savoir s'il n'existe pas quelque chose qui ne pourra jamais devenir du droit, donc qui reste toujours en soi du non droit ou, à l'inverse, ce qui de par son essence est idéfectiblement un droit précédant toute décision de la majorité et un droit qu'elle doit respecter. La réponse de la modernité à cette question fut les droits de l'homme. Il y a donc des valeurs tenant par elles mêmes, issues de l'essence de l'humain et donc inviolables par tous ceux qui possédent cette essence.
Ratzinger examine alors les formes nouvelles de la force et les questions neuves sur la façon de la maitriser.
Aprés la seconde guerre mondiale, le problème est celui de la puissance de feu atomique. En réponse, la limitation de part et d'autre, de la force et la crainte pour sa propres survie se trouvèrent être les forces pour s'en sortir. Nouvelle force à maitriser: Le terrorisme. Comment faire alors que le terrorisme se donne des légitimations morales (réponses des peuples opprimés etc...)? Comment faire quand le terrorisme se nourrit de religiosité? La religion est elle une force archaïque, qui édifie un faux universalisme et dans ce cas ne doit elle pas être placée sous le controle de la raison et soigneusement délimitée.? La suppression progressive de la religion est elle une avancée nécessaire de et à l'humanité?
Dernière force apparue: la capacité de l'homme de se "produire" lui même, pour ainsi dire en éprouvette. L'homme devient un produit, et du fait même le rapport de l'homme à lui même se modifie de fond en comble. D'ou la tentation de se mettre à construire l'homme véritable, la tentation de regarder les hommes comme des déchets et de les écarter. Ainsi donc ne serait ce pas la raison qui devrait être placée sous surveillance?
Religion et raison devraient-elles se limiter mutuellement, se laisser mutuellement renvoyer à leurs domaines respectifs et amener à jouer un rôle positif? Et se pose toujours la question de ce que sont, dans une société mondialisée, ou se cotoient des visions différentes, la morale et le droit.
A travers un détour historique, le cardinal montre comment s'est élaboré le concept de droit naturel. A l'origine la Grèce; suit la découverte du nouveau monde, et l'idée de jus gentium; la gentes comprenant les païens et les chrétiens. Puis au XVIème siècle, la Réforme et la nécessité de réguler les tensions entre les communauté chrétiennes. Emerge alors l'idée du droit naturel, défini comme le droit de la raison, qui pose la raison comme l'organe constituant le droit commun, par delà les frontières de la foi.
Mais l'idée du droit naturel présupposait un concept de la nature où nature et raison s'interpénètrent, où la nature elle-même est rationnelle. Mais les progrès de la science nous montrent que la nature est régie par le chaos, le hasard et la nécessité. Nature et raison sont définitivement séparés. Ne restent que des devoirs strictement humains que la raison de l'homme a créés. Aux questions posées on ne saurait, alors trouver de réponse hors de la raison. Ne subsistent que les droits de l'homme qui reposent sur le présupposé que l'homme en tant qu'homme, de par sa simple appartenance à l'espèce homme, est sujet de droits, que son être lui-même porte en soi des valeurs et des normes. De nouveau se pose le problème de la limite. Comment compléter la doctrine des droits de l'homme par une doctrine des devoirs et des limites de l'homme. La réponse serait pour le chrétien la création et le Créateur, pour l'indien la notion de dharma...''
Nous vivons donc dans un monde ou prime l'interculturalité, en conséquence il nous faut reconnaître, de fait, la non universalité des deux grandes cultures occidentales: La foi chrétienne, et la rationalité séculière. Et quand à la rationalité séculiere force est de constater que son évidence est liée à certains contextes culturels. C'est pourquoi l'ethos mondial reste une abstraction.
Que faire alors?
-Il existe des pathologies dangereuses dans les religions. Il y a donc nécessité de les controler à la lumière divine de la raison. Mais il existe une hubris de la raison et c'est pourquoi la raison doit être rappelée à ses limites et apprendre une capacité d'écoute par rapport aux grandes traditions religieuses de l'humanité. Il doit exister une forme de corrélation entre raison et foi, raison et religion, appelées à une purification et une régénération mutuelle.
-Compte tenu du contexte interculturel, et bien que la foi chrétienne et la rationalité occidentale soient les principaux partenaires de cette corrélation, nous ne pouvons rejeter les autres cultures. Ce serait de l'hubris occidentale. Il est important de consentir à une écoute, à une forme de corrélation véritable également avec les autres cultures. Il est important de les intégrer dans une tentative de corrélation où elles s'ouvriront elles-mêmes à la complémentarité essentielle entre raison et foi.
Comme on le voit Habermas et Ratzinger, en essayant de penser la notion de limite et donc de contôle, en arrivent à des conclusions semblables.
On me pardonnera, je l'espère, la longueur de cette note. Mais il me semblait intéressant de faire connaître ces textes, dans la mesure où ils peuvent nous permettre de sortir des clichés trop longtemps rabattus, et par la-même de penser.