Ma mère découvre les plaisirs du DvD, l'arrêt sur image, le retour en arrière...Il faut dire qu'elle n'est pas passée par la case magnétoscope, et que je lui ai prêté Mulholland Drive. Avec le film de Lynch, elle a de quoi faire. Ma mère aime comprendre, alors elle téléphone aux uns, aux autres. Elle me téléphone. Je lui parle de rêve, d'anneau de Moebius, de All about Eve, de la machine hollywoodienne. Mais cela ne lui suffit pas. Et la boite? Elle s'adresse à un jeune homme qu'elle ne connait pratiquement pas. Ce dernier lui répond, nouvelle idée reçue, qu'il n'y a rien à comprendre. ma mère ne le rappelera plus jamais, elle le dit: C'est un jeune con, car pour elle une grande oeuvre d'art c'est une oeuvre dans laquelle il y a justement tout à comprendre. Alors ma mère cherche, sort ses cours (elle suit les cours d'Yves Hersant) et se souvient d'un dessin de Michel-Ange: Le Songe[1]
Panofsky voyait dans ce dessin une allégorie représentant la victoire de la vertu sur les vices, les personnages entourant le jeune homme symbolisant les pêchés capitaux. Il semblerait que cette interprétation soit fausse, et qu'il faille, plutôt, y voir une figure de la mélancolie, du rêve éveillé. Le jeune homme, un artiste, vient tout juste de se réveillé, son corps est empreint de lascivité. Touché par l'inspiration, il est spectateur de sa propre création. Cette dernière contient encore les traces de ses rêves, elle est informe, esquissée, à l'état d'ébauche, non finito. L'artiste doit cependant veiller à ne pas tomber dans la folie, le délire. D'accord, mais la boite, celle sur laquelle le jeune homme est assis ? Elle représenterait le monde théatral, on y voit des masques, le monde de l'illusion qui aurait une moindre valeur que le monde de la création picturale. Nous sommes en plein néo-platonicisme. Ma mère fait le lien avec le film de Lynch, voit dans la boite les forces de l'illusion, qui ne sont pas celles du rêve qui permettent d'accéder à la véritable création à condition de les controler et de ne pas se laisser engloutir. L'héroïne du film lutterait contre l'illusion du spectacle, et tenterait vainement de donner forme à ses rêves.
Une fois de plus, ma mère me téléphone, me fait part de son interprétation et me donne, par la même occasion, l'idée de ces quelques lignes, qu'elle ne lira pas, mais que je lui dédie.

[1] Je n'ai pas retrouvé sur Google le dessin de Michel-Ange. En illustration une peinture de Holwell Carr Bequest (1831) d'après le dessin. La peinture donne une idée du dessin au détail prêt, mais détail qui à toute son importance, que les figures entourant le personnage principal sont esquissées dans le dessin de Michel-Ange.